Au cœur de tout homme, la foi
C’était à Noël 1970 ; j’étais alors sous les drapeaux. Le capitaine de la compagnie avait organisé un grand repas pour la veillée ; or à la même heure l’aumônier du régiment avait prévu la messe de la nuit, à laquelle je ne pouvais en aucun cas me dérober ; d’ailleurs nous avions fait connaissance quelques semaines avant et il m’avait confié l’accompagnement des chants prévus à cette veillée. Me voilà donc obligé de renoncer au plaisir d’un bon repas de fête avec mes copains de chambrée qui eux, ne se sentaient pas du tout concernés par la messe de Noël. Au retour de celle-ci, dont je n’ai plus aucun souvenir, qu’est-ce que je découvre en entrant dans la chambre ? Une table de fête, garnie de tout ce que mes compagnons de chambrée avaient mis de côté pour le partager avec moi ; ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas pu imaginer vivre la fête sans moi ni admettre que j’en sois privé. Vous devinez le choc émotionnel qui m’envahit à cet instant, inattendu, surtout de la part de garçons que mes directeurs de séminaire de l’époque avaient cru utile de me présenter comme un danger potentiel pour ma vocation. Ce fut tout le contraire, et si j’ai pris le temps de vous livrer cette expérience personnelle, c’est à la suite de la lecture de notre évangile du jour.
En effet Jésus va découvrir lui aussi la foi d’une païenne (c’est ainsi qu’étaient considérés ceux qui n’étaient pas du peuple juif) ; c’était ainsi que je considérais mes copains, issus des banlieues parisiennes, sympathiques mais sans lien avec aucune religion. Jésus, en présence de cette femme qui a l’audace de lui adresser la parole, va dans un premier temps se fermer à elle, à sa plainte, sous prétexte qu’il n’est pas venu pour les étrangers, mais pour le peuple élu, Israël. C’était l’attitude générale des croyants juifs qui étaient convaincus que la révélation du Dieu d’amour leur était réservée ; ils avaient pourtant bien lu le prophète Isaïe, comme nous l’avons entendu « ma maison s’appellera maison de prière pour tous les peuples », mais cela n’avait pas suffi à ouvrir leur cœur. Jésus était bien comme eux, de son peuple, de son milieu. Heureusement cette femme, maniant l’humour, forte de sa confiance en Jésus et portée par son amour de maman à l’égard de sa fille malade va retourner le cœur de Jésus.
Certains commentateurs de ce passage d’évangile hésitent à reconnaître la transformation intérieure qu’a vécue Jésus, oubliant peut-être qu’il est homme, et comme tout homme appelé à grandir, à entrer par étapes, dans le mystère du Dieu d’amour. Et ainsi il comprend et révèle par là-même que la foi n’est pas seulement la reconnaissance explicite de Dieu, elle est cette force qui nous met en route, qui nous fait franchir les obstacles, qui nous pousse à aller à la rencontre des autres, vers ceux qui sont dans le besoin. Elle est en toute personne, non réservée à une élite, elle n’est pas la propriété de ceux qui sont allés au catéchisme, qui sont à jour de leur Denier de l’Église. Elle est dans cette femme qui a osé crier sa détresse, elle est dans ces copains de chambrée qui ont eu à cœur de m’attendre pour que je puisse fêter Noël avec eux.
Laissons-nous surprendre par la foi, l’amour que vivent tant et tant de gens, souvent les plus pauvres. Ils font preuve d’une belle énergie pour mener leur existence. Laissons-nous aussi surprendre par ceux qui ont pu s’éloigner de nous ou qui ne partagent pas nos opinions politiques, religieuses. Que nous puissions dire avec Jésus « grande est ta foi ! » et avec Isaïe : « ma maison s’appellera ‘Maison de prière pour tous les peuples ‘! »
André Jobard
20 août 2023