Faut-il monter sur le sycomore ? – homélie de la messe des défunts – samedi 2 novembre 2019

        Voulez-vous courir avec moi et grimper sur le sycomore pour voir Jésus ? Comme Zachée, nous avons peut-être envie de voir Jésus, dont on a entendu parler, dont on évoque des paroles et des faits chaque dimanche à la messe, ou bien dans les célébrations d’obsèques, mais qui demeure cependant un être bien mystérieux. On a appris par les médias qu’il allait passer dans notre ville, c’est le moment, pensons-nous peut-être, de faire une démarche, de monter sur l’arbre de nos bonnes actions, ne serait-ce que pour voir à quoi il ressemble. Comme si pour voir Jésus, il fallait quitter le plancher des vaches, s’élever dans la prière, se retirer du monde, avoir un certificat de bonne conduite. Stupeur ! Au moment où cet étrange personnage passe sous l’arbre, de lui-même il lève les yeux vers Zachée, et lui demande de descendre, de revenir à sa condition d’homme marqué bien sûr par ses faiblesses, son péché, mais jugé capable par Jésus de vivre une rencontre avec lui : « il me faut demeurer chez toi », dira Jésus, qui n’a pas peur d’aller dans une maison réputée comme une maison de brigand. Oui Jésus veut lui aussi nous rejoindre là où nous sommes, là où nous en sommes de notre vie, de nos maladresses, de nos turpitudes ; ça semble vital pour lui, comme ça l’est pour nous. Il y a comme une jonction entre deux désirs, celui de Zachée, le nôtre donc, et celui de Jésus ; et c’est à ce moment-là qu’apparaît le salut, dans une vraie rencontre, fêtée comme il se doit autour d’un bon repas.

        Je vois là dans cette scène d’évangile une brèche énorme dans notre monde malade de tant de maux. Celui du temps de Zachée n’était pas meilleur que le nôtre, c’était un monde figé avec cette occupation romaine, très lourde à vivre, et qui générait beaucoup de tensions entre les familles, les groupes, les milieux sociaux et religieux. Il a suffi d’un petit geste, d’un regard de Jésus pour changer radicalement le cours des choses, pour amener Zachée à reconnaître ses erreurs, son péché et susciter le désir de réparer ce qu’il avait cassé dans ses relations. Cela va provoquer le scandale chez les protagonistes de l’épisode. Nous pouvons nous aussi casser la spirale des blocages qui enferment les gens, les groupes dans des postures irréversibles. Un petit geste, un sourire, un pardon peuvent changer la face du monde. Voilà ce que nous dit Jésus en rencontrant Zachée.

        Nos défunts, ceux que nous pleurons si leur départ est encore tout proche, n’ont pas besoin qu’on les mette sur un piédestal pour rencontrer Jésus. Bien souvent à la mort d’un être cher, nous nous employons à relever tout ce qui fut beau et grand dans son existence ; cela est bien normal de vouloir ainsi prolonger l’existence du disparu, mais il ne faudrait pas que nous le considérions comme un certificat d’admission à la vie éternelle. Jésus entre pleinement dans nos vies ; il vient à notre rencontre là où nous en sommes au moment du grand départ ; il a besoin de nous, pécheurs que nous sommes tous, pour manifester la tendresse du Père, ce père qui n’a de cesse de vouloir accueillir largement dans sa maison.

André Jobard

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