Guetteur, à ton poste !
« Fils d’homme, j’ai fait de toi un guetteur ». Curieuse mission confiée à Ézéchiel, et par ricochet à nous-mêmes. Car ce mot de guetteur, cela fait penser à surveillant, à espion, à redresseur de tort, à cette personne à l’affût du moindre faux pas, des erreurs, et qui s’immisce dans la vie intime. Ce malaise, on peut aussi le ressentir à la lecture de l’évangile, où il est question de corriger son frère qui a péché. Allons-nous rester sur cette impression ? Ce serait bien dommage. Allons donc chercher derrière celle-ci le beau message pour notre foi et même tout simplement pour notre vie.
Pour Ézéchiel, le contexte dans lequel il reçoit cette invitation de la part de Dieu est un contexte douloureux, celui de la déportation à Babylone, avec la tentation de la désespérance : plus rien à attendre de la vie. Guetteur, Ézéchiel va devoir rappeler la gravité des enjeux de l’existence, quand celle-ci est menée ou non selon la loi de Dieu. De même dans l’évangile la question de la fidélité au témoignage de la foi dans un contexte de persécution agitait la première communauté chrétienne à laquelle s’adresse Matthieu. Dans les deux situations, il est bon que soit rappelée par un guetteur, un frère, l’urgence de la conversion. Car existe une vraie solidarité entre tous, nous dirions une véritable fraternité : nous sommes liés les uns aux autres puisque nous sommes enfants du même père.
De là, cet appel vibrant à se soucier les uns des autres ; non pas pour juger le frère défaillant, le condamner, mais parce que son salut nous concerne. Nous ne pouvons pas être sauvés, seuls ; c’est avec mes frères et sœurs, même les plus éloignés de moi, que je peux vivre et participer à la vie en Dieu. Plus question d’ignorer le sort de mon voisin, celui qui est dans la grande détresse morale ou physique, ou celui qui est aveuglé par ses richesses matérielles ou par sa soif de pouvoir. Pas question non plus de négliger la survie de notre maison commune, la création toute entière. Il est salutaire que nous soit rappelée sans cesse cette exigence de préserver la planète et de promouvoir une société de justice, que ce soit de la part de notre pape, ou des multiples mouvements, associations, responsables de partis : tous ces guetteurs, à leur place respective, nous alertent sur les dangers de la poursuite aveugle dans un système économique, sociétal, politique qui engendre encore tant de misères, génère autant d’exilés, sans parler des conséquences désastreuses sur la création toute entière.
Parfois nous pouvons baisser les bras devant l’inertie des populations, des pouvoirs publics, des institutions ; les appels à la conversion, au changement de nos pratiques sont mis en sourdine, soit parce qu’ils bousculent trop nos habitudes, soit parce que nous recentrons notre vie chrétienne sur quelques dévotions ou actes de bienfaisance. Même si cela est tout à fait respectable, la priorité n’est-elle pas de participer au projet-même de Dieu, qui attend une humanité réconciliée et fraternelle ? De là la nécessité de la prière afin que les récalcitrants à ses appels (nous en premier) soient considérés comme des païens et des publicains, selon la parole mystérieuse de Jésus… ce même Jésus qui, par ailleurs leur a fait bon accueil ! La construction d’un monde fraternel est à la fois de notre ressort et aussi de l’aide de Dieu ; dans notre prière nous lui confions nos propres difficultés et celles de toute notre humanité, tentée trop souvent de mettre sa confiance dans ses propres œuvres. Finalement, merci à tous les guetteurs, nous en avons tant besoin.
André Jobard
10 septembre 2023