Heureux d’être vivants – homélie du dimanche de la santé – 13 février 2022

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Les lectures du jour

Heureux d’être vivants

 

         Depuis 15 jours, je cherche comment articuler « Heureux » le mot clef de l’évangile du jour avec la santé puisque c’est le dimanche de la santé. Quand la santé est bonne, c’est facile. « Heureuse année et surtout la santé ». Mais dans cette assemblée, certains se soignent pour une maladie chronique, d’autres luttent contre un cancer ou craignent une rechute. Beaucoup ont perdu une partie de la vision ou de l’audition. Plusieurs se déplacent avec difficulté et s’efforcent de préserver leur autonomie. Quelques-uns ont des troubles de la mémoire et deviennent dépendants. Certains attendent une intervention chirurgicale et la rééducation qui suivra. Quelques-uns ont l’esprit confus. Et tous nous sommes inquiets pour des membres de nos familles et de nos amis dont la santé est mauvaise. Et pourtant tous gardent le Dieu Trinité, Père, Christ et Esprit au cœur de leur vie et viennent ici écouter le Christ vivant proclamer « Heureux les pauvres, ceux qui ont faim, ceux qui pleurent ». Encore heureux qu’il ne dise pas « Heureux ceux qui souffrent ! »

         Pierre Veuillot, évêque de Paris, atteint d’un cancer en phase terminale, disait : « Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même j’en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n’en rien dire ; nous ignorons ce qu’elle est et j’en ai pleuré. »

Alors comment parler de bonheur à ceux qui souffrent quand on est comme moi en bonne santé ?

         Certains dimanches, au premier rang de cette assemblée, il y a Espérance et sa fille Louise. Elles sont discrètes. Mais de ma place je les vois bien. Dans son fauteuil Espérance alterne assoupissements et sourires. Louise la berce avec une touchante attention filiale. Elles ont l’air heureuses. Pourtant Espérance, cette femme élégante, toujours vêtue de couleurs vives, très fière de son étonnant prénom, qui venait chaque dimanche ici avec ses enfants, a été victime il y a 3 ans, d’un accident vasculaire cérébral gravissime, soldé par des interventions d’urgence, un coma prolongé à Paris et des mois de rééducation à Divio qui n’ont pas réussi à corriger son hémiplégie ni son aphasie. En un instant sa vie et celle de ses enfants ont chaviré.

         Vendredi, j’ai été reçu avec Louise chez Pamela, la fille aînée chez qui Espérance vit désormais. Sans fard, ni pathos, elles ont accepté de préparer cette homélie en répondant à la question « Etes-vous heureuses ? » Elles m’ont raconté comment elles avaient fait bloc avec leur grand frère qui accueille maintenant chez lui les plus jeunes de la fratrie, pour se relayer auprès d’Espérance, à Paris puis à Divio, comment elles se sont battues pour renverser les barrières du Covid qui faisaient dépérir leur maman, et pour éviter qu’elle parte dans une institution, comment elles lui ont réappris à manger, comment elle a retrouvé le sourire et repris goût à la vie. Elles sont contentes que leur maman soit vivante, et heureuses de vivre pleinement leur vie auprès de celle qui leur a donné la vie. Louise a évoqué sa Foi. Elles achèvent leurs études pour que leur maman soit fière d’elles. Elles lui redonnent l’amour qu’elle leur a donné. Vendredi, rue Colette à Chevigny, chez Espérance, je n’ai pas dit grand-chose, j’ai reçu une leçon de vie. Il y avait aussi dans le salon deux auxiliaires de vie, les bien-nommées, qui ont écouté en silence et Kaephren, le fils de Pamela, plein de vie, qui est né au moment du retour d’Espérance.

         Cette leçon de vie m’a rappelé celle que m’a racontée Philippe. Il vit dans une communauté de l’Arche avec des adultes qui ont un handicap mental. Avec l’un d’eux, Benjamin, il préparait une rencontre pour des lycéens sur le thème du bonheur. Il lui demande : — Qu’est-ce que c’est le bonheur pour toi ? — C’est quand on est marié. — Et aussi ? — C’est quand on a des enfants. — Et encore ? C’est quand on a un travail. — Benjamin, tu n’as ni femme, ni enfants, ni travail. Alors tu n’es pas heureux ? — Si parce que, moi, je suis vivant.

         Heureux sommes-nous d’être vivants, avec nos différences de santé, et de marcher à la suite d’un Vivant qui nous guide vers une vie éternelle.

Vincent Boggio
13 février 2022

 

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