Heureux, malgré tout – homélie du 1er novembre 2021 – Toussaint

télécharger au format pdf

 

Heureux, malgré tout

 

         Heureux ! Quelle audace de la part de l’Église de proclamer ce mot, alors que tant de gens souffrent de par le monde. Serait-ce une provocation, histoire de nous faire oublier la dure réalité de l’existence, à moins que ce soit une illusion, un aveuglement sur la condition des foules des malheureux ? L’actualité nous a jeté en pleine figure la souffrance de ceux dont la chair et le cœur ont été blessés, souvent à vie. Comment comprendre ce mot qui retentit en cette fête de la Toussaint, souvent envisagée comme une fête triste, associée au souvenir des défunts ?

         En fait ce mot, c’est Jésus qui le proclame à l’adresse de foules qu’il rencontre au long de son parcours sur les routes de Palestine, foules de boiteux, d’estropiés, d’exclus de toute sorte. Il en guérit un certain nombre, et il a des paroles qui remuent les cœurs. Il est bien enraciné dans son peuple qui souffre, qui attend une libération et lui aussi a soif de bonheur. Et ce qu’il va dire, c’est le résultat d’un constat, à savoir que dans cette vie, telle qu’elle est avec ses misères, ses combats, ses limites, il y a place pour le bonheur. Il nous montre qu’on peut être heureux partout, en tout lieu, dans toute situation, à condition de convertir notre regard, de prendre un peu de distance par rapport à nos attentes, et d’accueillir chaque jour qui se présente comme une nouvelle chance de recevoir un instant de bonheur. Car le bonheur ne s’achète pas, il se reçoit. Il n’est pas l’opposé du malheur, il le dépasse totalement. Et cela Jésus le dira de façon unique par sa passion, sommet de la souffrance physique et morale, qui sera une passion victorieuse, débouchant sur la joie de Pâques.

         Encore un discours loin de la vie, penserez-vous peut-être. Il est vrai que certaines situations de crise, de tensions comme celle du vendredi saint semblent sans issue, au moins dans l’immédiat. Nous ne pouvons pas l’ignorer ; c’est le mystère du mal qui peut nous atteindre tous un jour ou l’autre. Mais regardons par exemple ce qui se passe au chevet d’une personne malade ou en fin de vie : bien sûr le mal est là, ce mal qui accomplit son œuvre de destruction, mais la personne vous confiera que cette épreuve a remis bien des choses à l’endroit dans sa tête, dans son cœur, et qu’ainsi elle a trouvé une joie encore jamais ressentie. Je pense aux visages souriants d’enfants africains, qui n’ont rien de notre confort occidental, mais qui ont ce qui nous manque le plus à nous qui sommes gavés de tout, je veux dire la confiance, l’envie de vivre. Je pense à tous ceux qui s’engagent pour une cause juste : même s’ils rencontrent bien des obstacles sur leur route, ils sont heureux de constater combien ce combat les grandit. Je pense à toutes ces réconciliations que nous avons à vivre, suite à des incompréhensions, des susceptibilités ; souvent cela génère un climat lourd à porter, mais que de joie quand le pardon fait jaillir une parole, un sourire !

         Nous pourrions multiplier les exemples ; nous en avons tous en tête, j’en suis sûr, car c’est la vie, telle qu’elle est, et c’est dans cette vie, pas ailleurs, que se trouve le bonheur. Les béatitudes nous le disent : ce n’est pas un programme à appliquer, et ce n’est pas parce qu’ils l’auraient appliqué entièrement que des hommes, des femmes sont saints. C’est tout simplement parce qu’ils n’ont jamais désespéré de la vie, cette vie que Dieu nous offre pour que nous y trouvions le bonheur. Un bonheur, rappelons-le, qui s’est manifesté pleinement à Pâques, et qui fait des chrétiens des personnes heureuses dans le monde, dans la vie.

André Jobard

1er novembre 2021