Je tâche de m’adapter à tout le monde – homélie du dimanche 14 février 2021

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Je tâche de m’adapter à tout le monde

 

         Dans sa lettre aux Corinthiens Paul dit : « Je tâche de m’adapter à tout le monde ». Ce « tout le monde » renvoie à ceux qui sont cités juste avant : les juifs, les païens et l’Église de Dieu. « Je m’adapte (…) sans chercher mon intérêt personnel » précise-t-il. On comprend qu’il adapte sa prédication et son témoignage à tous ceux qu’il rencontre, ceux qui sont chrétiens et ceux qui ne le sont pas, qu’ils soient juifs, donc connaisseurs de la loi et des prophètes, ou païens, donc probablement adorateurs d’autres dieux. Et il conclut « Imitez-moi », ce qui peut paraître orgueilleux, sauf qu’il précise « comme moi aussi j’imite le Christ ». On entend donc que Paul s’attache à imiter le Christ, lequel s’est adapté aux personnes et aux circonstances qui ont jalonné son chemin et qu’il invite ses amis chrétiens de Corinthe à en faire autant.

         Nulle part les évangélistes ne disent que Jésus s’est adapté et Jésus ne le dit pas de lui-même. Mais le lecteur moderne des évangiles le constate facilement. Jésus a alterné les rencontres avec les foules et avec des personnes isolées. Dans la Galilée des nations, il a côtoyé des populations venues de partout. Il a arpenté la campagne et enseigné dans le temple, au cœur de la capitale. Il a préféré les pauvres mais n’a pas négligé les riches. Il a reçu tous les malades sans choisir les cas intéressants. Il a accepté la confrontation avec ses contradicteurs. Il a fait des longs discours et trouvé de belles maximes faciles à retenir. Parole incarnée, il a aussi parlé par des gestes silencieux, comme quand il a lavé les pieds de ses disciples. Surtout il a adapté sa lecture de la Loi, sans la trahir, sans la dénaturer, sans la critiquer, mais en rejetant les interprétations tatillonnes pour en faire jaillir l’esprit plutôt que la lettre. C’est ainsi qu’il ose toucher le lépreux pour le guérir, contrairement aux prescriptions légales, mais qu’il le renvoie au prêtre pour qu’il constate la guérison. Il ne transgresse pas, il sublime. Il s’adapte pour faire avancer les autres vers son Père.

         Paul invite donc ses lecteurs à l’imiter, lui qui imite Jésus en s’adaptant à tout le monde. Indiscutablement depuis sa création L’Église s’est adaptée, aux premiers siècles, comme au Moyen Age ou au XXè siècle. Actuellement elle continue de s’adapter. L’évangile n’a pas changé. Mais ses traductions se sont adaptées au vocabulaire usuel. Les plus anciens d’entre nous constatent que la catéchèse a évolué non seulement par une nouvelle pédagogie utilisant des moyens techniques plus familiers aux enfants d’aujourd’hui, mais surtout par son recentrage sur la figure de Jésus-Christ. La liturgie s’est épurée pour souligner l’essentiel. Certains trouvent que l’Église s’adapte trop lentement compte tenu de l’accélération des changements dans la société. Elle a encore un sacré chemin à faire pour une juste promotion des femmes. D’autres regrettent le passé. Mais s’adapter, ce n’est pas renier, ni dire du mal des paroles et d’une pratique qui étaient justifiées dans un autre contexte. Tout en respectant ceux et celles qui la font vivre dans la fidélité, tout en se rappelant qu’elle est universelle, l’Église peut encore s’ouvrir à ceux dont la vie n’est pas conforme à la morale qu’elle préfère, à ceux qui l’effleurent de façon intermittente et périphérique, en acceptant leurs limites et leurs demandes modestes sans les charger d’un fardeau trop lourd pour eux.

         Paul s’est proposé comme modèle. L’histoire de l’Église est ponctuée de modèles. Parmi eux certains sont des modèles d’adaptation. Dominique Nicolas, curé de la paroisse Saint Joseph qui est mort vendredi a été pour moi comme pour beaucoup d’autres un modèle d’adaptation « à tout le monde », à l’imitation du Christ, en particulier par son souci de dialoguer avec d’autres religions et celui d’être attentif à ceux qui sont en marge de l’Église et de la société.

Vincent Boggio

17 février 2021