La loi et la perfection – homélie du 23 février 2020

 

       « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait ! » Quelle exigence ! Cela me rappelle les instructions et les lectures spirituelles que nous prodiguaient à longueur de journées et de semaines nos éducateurs au petit séminaire. Bien des élèves en sont restés à l’aspect moral de cette parole et en conséquence l’ont rejetée, sans en goûter toute la richesse, qui en fait une bonne nouvelle pour notre vie.

        Une lecture moralisante peut en effet conduire à des dérives extrêmes, que ce soit celle de l’orgueil afin de sortir du lot commun des mortels, ou bien isoler les personnes consacrées (religieux, religieuses, moines, prêtres) en en faisant des êtres exceptionnels, ou bien se flageller pour ressembler à Jésus sur la croix, et au final, réaliser que cette mission, réservée à une élite ne me concerne pas ou est impossible, avec un goût de culpabilité. Avouons qu’on est loin de la Bonne Nouvelle.

        Le rappel du contexte dans lequel Jésus prononce cette parole peut nous permettre d’aller au-delà de cet aspect moralisant. Matthieu l’évangéliste conclut le long discours de Jésus sur la montagne en reprenant un certain nombre de paroles destinées aux lecteurs de son évangile, chrétiens venus du judaïsme, formés par les rabbins dans la connaissance de la loi de Moïse. Son application stricte, pensaient ces derniers, était le seul chemin pour accéder à Dieu. Or Jésus va présenter autrement le rôle de la loi, signe de l’Alliance scellée entre le peuple juif et Dieu ; c’est une loi qui fait vivre, qui invite à ne pas passer à côté de l’essentiel. C’est l’histoire d’un amour entre Dieu et l’humanité. Le texte du Lévitique et le psaume le chantent à merveille. Et qui dit amour, dit sans mesure, sans calcul. Quand on a envie d’aimer quelqu’un, on sait bien qu’il faudra sans cesse chercher de nouveaux chemins pour manifester cet amour, et non se satisfaire d’appliquer des normes, on a envie de toujours faire mieux, d’atteindre la perfection.

        Et si finalement c’était à cela que Matthieu fait référence : à aimer du plus profond de son cœur. Aimer jusqu’à aimer ses ennemis (ce qui veut dire qu’il est tout à fait normal d’avoir des ennemis), comme Jésus, Jésus qui ne s’est pas dérobé face à ses bourreaux, qui s’est laissé dépouiller de sa tunique, qui a fait plus que mille pas, en prenant le chemin du calvaire, qui a prié pour ceux qui le persécutaient, pourtant au sommet de sa souffrance. Nous savons bien quelle joie profonde nous pouvons ressentir quand nous avons pu aller sur ce chemin de l’amour, du pardon. C’est déjà la joie de la résurrection, celle de Jésus, et la nôtre puisque nous sortons alors de cet état d’aigreur, de ressentiment, de mort.

        Alors la perfection ? Attention à l’emploi de ce mot. Jésus nous dit qu’il nous rejoint dans notre recherche de paix, de bonheur : une recherche tâtonnante, maladroite bien souvent, une recherche qui nous situe en position de fils de ce Dieu qui est parfait parce qu’il est un Père aimant.

André Jobard

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