La mission de Jérusalem à Rome – prédication du 26 janvier 2020

 

       Il n’est pas courant, du moins chez nous catholiques, de lire cette fin des Actes des apôtres, qui relate l’aventure de Paul en partance pour Rome. C’est donc avec un certain intérêt que j’ai relu ce passage, grâce au choix opéré par les responsables de l’œcuménisme. Un passage où nous sont racontées les péripéties d’une traversée de la mer pour rejoindre Rome depuis la Palestine. Dans un premier temps je redirai le contexte et le sens de ce voyage. Ensuite nous suivrons les différentes étapes de cette aventure, en tentant d’en dégager les enseignements que l’auteur du livre a voulu nous transmettre et qui sont d’importance pour notre foi.

        Tout d’abord, il s’agit de Paul, l’apôtre des nations tel que le livre des Actes le nomme. Paul s’en va à Rome (Ac, 23 11), non pas pour un voyage touristique ou un pèlerinage. Il s’y rend parce que citoyen romain il veut être jugé devant l’empereur, alors que les Juifs, exacerbés par ses théories veulent le juger et surtout le mettre à mort. Et pour lui aller à Rome, c’est aussi une démarche spirituelle, c’est-à-dire guidée par l’Esprit Saint en conformité avec la vision qu’il a eue, rapportée au chapitre 22, verset 21 du livre des Actes, où il entendit le Seigneur lui dire « va, c’est au loin, vers les nations païennes que je vais t’envoyer  » Rome était en effet considérée comme le centre de ce vaste empire païen à qui il fallait annoncer la nouvelle de Jésus-Christ.

        Le voilà donc en route avec cette traversée de la mer ; pas encore d’avions qui nous transportent en quelques heures d’un point de la planète à un autre, mais des embarcations de fortune, sur une mer pas toujours calme, loin s’en faut. Tous ceux qui de nos jours tentent de faire cette traversée depuis l’Afrique ou d’autres pays du Moyen-Orient, conduits par des réseaux mafieux, savent le danger encouru sur ce genre de bateaux. Rapidement la mer se déchaîne, les vagues submergent l’embarcation, et menacent à chaque instant de briser le bateau. De plus la visibilité est totalement nulle, et pas encore non plus de GPS ou autre technologie pour se repérer. Tout va à la dérive, et la panique s’empare des passagers : je vois là l’image de ce que nous pouvons ressentir devant l’évolution de nos sociétés, devant ses blocages et leur incapacité à résoudre ceux-ci. Notre monde semble aller à sa perte et est en proie à la désespérance. Chacun alors est tenté par le repli sur soi, voulant se ménager une issue individuelle à la crise actuelle.

        Face à cette peur qu’éprouvent les passagers de l’embarcation où se trouve Paul, celui-ci va appeler à la confiance « car, dit-il, aucun d’entre vous n’y laissera la vie ; seul le bateau sera perdu. » Sur quoi se fonde cette confiance de Paul ? Est-ce simplement un tempérament optimiste, ou un refus de voir la réalité en face ? Non, il s’agit pour lui d’un véritable acte de foi, enraciné dans son cœur à cœur avec le ressuscité ; d’ailleurs il ne manque pas de rappeler à ses auditeurs pris de panique la parole de Seigneur : « cette nuit-même un ange m’a dit : sois sans crainte, Paul ; il faut que tu comparaisses devant l’empereur et Dieu t’accorde la vie ainsi qu’à tous tes compagnons de traversée ». Il s’appuie sur cette promesse et sur sa mission reçue du Seigneur : annoncer jusqu’à Rome la nouvelle de Jésus. Savons-nous comme disciples de Jésus témoigner de cette espérance à notre monde en désarroi ? Paul a insisté auprès de ses compagnons d’infortune pour qu’ils se nourrissent : bien sûr se nourrir de pain pour survivre mais aussi partager le pain de la parole de Dieu. Quelle que soit notre approche de la célébration du repas eucharistique selon nos traditions respectives, protestants et catholiques, nous ne cessons de rappeler le dernier repas de Jésus où il s’est livré en personne à toute l’humanité; c’est là où nous puisons la force de croire en la victoire de la vie sur la mort.

        Effectivement le bateau échoue sur la terre ferme, une île dont ils découvrent le nom : Malte. « Les autochtones nous ont témoigné une humanité peu ordinaire » dit le texte. Parole retenue comme thème central de notre semaine de prière pour l’unité des chrétiens. L’hospitalité des Maltais a réchauffé le cœur de Paul et de ses compagnons. Et Paul le leur rend bien ; habité par l’Esprit, il opère beaucoup de guérisons, et s’établit alors entre eux d’une part et lui et ses compagnons d’autre part un échange fraternel , qui dans le livre des Actes relatant la vie des premières communautés chrétiennes est le signe de la foi au ressuscité : rappelons-nous ceci: « tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun. » (Ac, 2, 44) De quoi nous engager sur ce chemin de l’hospitalité, qui sera toujours le meilleur témoignage que nous pouvons donner au monde de la présence du ressuscité.

        C’est sur cette réalité de l’hospitalité que nous pouvons nous arrêter un instant. Hospitalité que nous nous devons entre frères partageant la même foi au Christ ressuscité, mais divisés depuis longtemps donnant un contre-témoignage . L’unité à laquelle nous devons travailler ne doit pas se limiter à gommer nos particularités ce qui tendrait à affadir ce trésor de la foi. Chaque tradition a ses richesses qu’il nous faut accueillir pour progresser ensemble vers le Christ. Le traditionnel échange de chaires que nous pratiquons chaque année est une bonne occasion de nous rencontrer, de nous parler, de découvrir nos liturgies, nos habitudes. Souhaitons que cet échange dépasse le temps d’une semaine.

        L’hospitalité, bien sûr, elle doit se vivre surtout auprès de ceux qui sont en détresse, à la suite de difficultés familiales, professionnelles, politiques. Et puisqu’il est question de Malte, nous ne pouvons pas passer sous silence ce qu’évoque cette île en ce moment de notre histoire : le problème des réfugiés, qui tentent de fuir leurs pays, qui dans des traversées périlleuses échouent sur Malte ou autres îles de la Méditerranée, ou sur les rives de notre Europe continentale. Des drames se jouent presque quotidiennement sur cette mer, qui devient un gouffre avalant, dans l’indifférence générale, des milliers de personnes, des enfants, des vieux, des jeunes, simplement en quête d’une vie meilleure. Ils aspirent à trouver un refuge dans notre Europe où il fait si bon vivre, sauf pour eux qui sont trop souvent rejetés ou obligés à la clandestinité, vivant d’expédients dans des abris de fortune. Heureusement des hommes et des femmes, ne pouvant admettre une telle injure à l’ hospitalité , s’organisent pour mettre en place des structures d’accueil. Des mouvements de nos Églises sont à l’œuvre pour vivre cet accueil inconditionnel. Comment ne pas citer ici-même l’excellent travail de la Cimade, du Secours Catholique, de paroisses dijonnaises et de tant d’autres ? Modestement, sans chercher en retirer gloire ou profit, ces institutions apportent leur savoir-faire, leur engagement, parmi tous ceux qui sont à la manœuvre pour offrir un peu d’humanité à nos frères en détresse.

        Paul était donc parti pour sa défense à Rome, alors qu’il était pourchassé par les Juifs ; son voyage, émaillé de tant de périls et de défis à relever, sa rencontre avec un peuple païen, et tellement humain, les habitants de Malte , manifestent l’action de l’Esprit Saint, présent dans tout le livre des Actes des apôtres. La mission donnée par le Christ à ses apôtres suit son chemin à travers les affres de l’histoire des hommes. Elle continue encore en 2020 au cœur de notre histoire mouvementée, où la tentation est grande parfois de baisser les bras. Notre foi est sans cesse appelée pour témoigner que l’œuvre de Dieu se réalise . Isaïe déjà avait annoncé que le salut était offert à toutes les nations jusqu’aux extrémités de la terre. De quoi nous engager sur ce chemin d’évangélisation, non pas dans un souci de prosélytisme, mais tout simplement par fidélité à Celui qui s’est donné à tous les hommes et les femmes de tous les temps. Lui-même s’est reconnu dans le pauvre qui a faim, qui est malade, qui est étranger.( Mt, 25,40) Ensemble, sortons de notre confort idéologique et de nos habitudes, allons à sa rencontre .

André Jobard

Prédication temple protestant janvier 2020 (semaine de prière pour l’unité des Chrétiens) – Actes des Apôtres 27-28

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