« Le jour commençait à baisser » – homélie du dimanche 23 juin 2019

Fête du Corps et Sang du Christ

        « Le jour commençait à baisser ». Cette annotation dans l’évangile de Luc n’est pas sans rappeler le récit des pèlerins d’Emmaüs (lui aussi contenu dans l’évangile de Luc), qui marchent vers ce village à la nuit tombante, le cœur douloureux après la mort de leur ami. Le jour baisse, c’est ce moment de la journée entre chien et loup, le crépuscule, où peuvent se réveiller les peurs et les angoisses de la nuit, à l’image de ces moments de l’existence où tout peut basculer.

        C’était certainement cela que vivaient Jésus, ses disciples et cette immense foule, au soir d’une journée bien remplie. Ils avaient évoqué le Règne de Dieu, rêvé d’un monde libéré de la souffrance, de l’injustice, de la guerre. Hélas, la dure réalité est là, la nuit va arriver, la faim se fait plus tenace, et l’endroit est désert, plus aucune perspective. Que faire ?

        La tentation est de fuir, de contourner cette réalité, d’aller voir ailleurs, de se fier à d’autres idoles, de s’en remettre aux partisans du ‘il n’y a qu’à’. Les disciples sortent alors leur calculette, font leurs poches, et finalement baissent les bras : pensez-donc : « 5 pains et 2 poissons pour 5000 hommes, ça va pas faire ».

        Jésus lui, se situe sur un autre registre. Quand il invite ses disciples à donner eux-mêmes à manger, il leur signifie par là qu’il a confiance en eux, à condition que ces derniers aient confiance en eux-mêmes, sachent regarder non pas ce qui manque, tout ce qui ne va pas, mais ce qui est déjà là : 5 pains, 2 poissons, ce n’est pas rien. Que de fois nous minimisons notre avoir, notre vie, nos capacités. N’est-ce pas ce que vit notre société actuellement ? Devant les défis qui se présentent à elle : la paix, la justice, la santé, l’écologie, la tentation est grande soit de baisser les bras en considérant que rien ne va plus, soit de s’en remettre à des porteurs de solutions techniques, matérielles ou économiques, quand elles ne sont pas démagogiques.

        « Faites-les asseoir par groupes de 50 », telle est la réponse de Jésus. Comme s’il disait : « regroupez-vous, rencontrez-vous, risquez le partage ». On entend trop souvent cette réflexion selon laquelle avant de partager la richesse, il faut la créer. Jésus dit tout autre chose : partagez ce que vous avez et vous découvrirez que ce partage crée de la richesse. D’ailleurs Jésus ne manque pas, avant de les distribuer, de bénir Dieu pour ces 5 pains et 2 poissons : comme s’il remerciait Dieu d’avoir donné ce qui apparaît pourtant comme quantité négligeable. C’est d’ailleurs cette même prière qu’il fera quand il partagera le pain qui est son corps : quoi de plus dérisoire qu’un morceau de pain ? Et pourtant n’est-ce pas ce qui va apaiser notre faim, de pain, bien sûr, mais surtout d’amour, de sens à nos vies. Et c’est ce même pain qui se partagera la nuit d’Emmaüs, et donnera de reconnaître Jésus vivant, venu apaiser nos cœurs, surtout quand le jour baisse.

André Jobard

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