Parler la langue de tout le monde – homélie du dimanche 3 mars 2019

        Une petite anecdote en lien avec cet évangile: j’étais en poste à Nuits saint Georges et je revenais du ski. Volant au secours d’un neveu qui était en difficulté sur ses skis, j’avais atterri dans les bosquets qui longent la piste et je m’étais écorché le visage, avec surtout une blessure à l’œil, un vrai coquart, et donc le dimanche suivant je devais prêcher sur cette parabole de la poutre dans l’œil ; autant dire que l’assemblée a bien ri en me voyant.

         Cette parabole se situe dans un ensemble de sentences, issues de la sagesse populaire, comme le rapporte le vieux sage entendu dans la première lecture. Toute la bible est parsemée de proverbes, d’images simples, de symboles aussi quotidiens et aussi riches que le feu, l’eau, le pain, les fruits. Vivre avec Dieu, c’est habiter la terre, c’est parler la langue de tout le monde, c’est se mettre à l’école de la vie au jour le jour. Le chrétien n’est pas un extra-terrestre, il y a là tout le réalisme de l’Incarnation.

         Pourtant est-ce que l’évangile peut être réduit à de simples règles de bon sens, de savoir-vivre ? Non, et ça serait vraiment dommage de s’en arrêter là. L’évangile doit être reçu comme une bonne nouvelle pour aujourd’hui, pour notre vie. Et c’est une bonne nouvelle parce que Jésus lui-même a pris au sérieux tout l’enseignement qu’il a donné ; il est celui qui a vécu parfaitement ce qu’il a annoncé. Quand il invite à ne pas regarder la paille dans l’œil de son voisin, il sait de quoi il parle, il n’a jamais condamné personne, mais a toujours cherché ce qui dans la vie de ses interlocuteurs était promesse de renouveau, de conversion intérieure. Quand il suggère d’aimer ses ennemis, on pense immédiatement à l’attitude qui fut la sienne sur la croix face à ses bourreaux pour lesquels il a imploré le pardon de son père. Quant à l’arbre qu’on juge à ses fruits, Jésus n’est-il pas lui-même cet arbre qui produit toute vie, ce cep où se nourrissent les sarments, et la croix n’est-elle pas l’arbre de vie par excellence ?

         Ainsi nous percevons mieux, à la lumière de la vie de Jésus, comment ces quelques sentences de sagesse populaire prennent tout leur sens ; elles sont une invitation à mettre nos pas dans ceux du Christ, à vivre en ressuscités avec lui. A la suite de sa mort et de sa résurrection, tout doit changer dans nos rapports les uns avec les autres, même si cela doit aller à l’encontre du bon sens populaire. Celui-ci n’est plus la référence ultime. Ce qui doit guider les chrétiens c’est la vie même du Christ, qui a appelé à l’amour des ennemis, à l’accueil de l’étranger, à la recherche de ce qu’il y a de meilleur en tout homme, et à la confiance que chacun est aimé de Dieu. En ces temps où le témoignage de l’Église est brouillé par des scandales bien connus, vivre à la façon de Jésus devient prioritaire pour que le monde ne cède pas à la désespérance. Oui la mort a été engloutie dans la victoire, nous dit saint Paul ; c’est la victoire du ressuscité. Vivons donc en ressuscités !

André Jobard

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