Partager sans s’appauvrir – homélie du dimanche 17 février 2019

        Nous connaissons bien les Béatitudes, promesses de bonheur – « heureux, heureux » – proclamées par Jésus au tout début de son ministère, surtout dans la version de Matthieu et que nous lisons à la Toussaint ou, souvent à des célébrations d’obsèques. Dans son évangile, Luc n’en retient que quatre mais il ajoute trois maléatitudes. Il ne s’agit pas de malédictions. Jésus ne maudit personne. Il ne souhaite du malheur à personne. Il ne condamne pas. Il constate. C’est le cas notamment pour la première d’entre elles. « Quel malheur pour vous les riches ». Jésus qui vivait sobrement avait pu constaté que les riches n’étaient pas finalement heureux, surtout quand ils comprenaient qu’ils devaient renoncer à entrer dans le royaume des cieux, royaume d’amour et de bonheur, que Jésus annonçait.

         Deux mille ans après nous recevons toujours cette parole de Jésus en pleine face. Elle dérange tellement que le curé d’une paroisse d’un quartier huppé l’a un jour sauté pour ne pas troubler certains de ses paroissiens !

         « Quel malheur pour vous les riches ». En surfant sur Internet, on trouve effectivement le témoignage de milliardaires malheureux pour lesquels il est difficile d’avoir de la compassion. D’autre paroles de l’Évangile sont dérangeantes. Celle-là met particulièrement mal à l’aise parce qu’il s’agit d’argent, donc d’héritage, de patrimoine, de salaire, d’épargne, de niveau de vie, de pouvoir d’achat et donc d’inégalité et d’injustice.

         On crie au scandale quand on lit que dans le monde les 26 plus riches ont autant que la moitié de l’humanité. On peut aussi crier au scandale quand ont sait que celui qui demande l’asile en France n’a pas le droit de travailler pendant 9 mois et doit survivre lorsque L’État ne peut lui proposer d’hébergement avec une allocation de 14,20 € par jour, somme avec laquelle il doit manger et se loger. On comprend l’importance du repas et de l’amitié que vous offrez ici tous les mercredis.

         On peut multiplier les calculs, les évaluations, les statistiques. Tantôt on se sent pas trop riche et donc pas trop mal, tantôt on se sent mal à l’aise. On multiplie les raisons de ne pas trop donner. « C’est de l’argent qu’on a gagné en travaillant, il faut penser aux enfants, on n’est pas dans les plus riches, on donne déjà beaucoup… » La pauvreté des autres est pourtant là. Elle nous incite à faire toujours davantage. Donner rend heureux. Mais notre générosité est limitée et nous sommes mal heureux, heureux mais mal.

         Hier, avec les enfants du catéchisme, nous avons regardé l’histoire de Saint Martin qui coupe son manteau en deux pour couvrir un mendiant. Les enfants ont compris tout seuls que pour enrichir un pauvre il fallait s’appauvrir d’autant. Martin n’a pas donné 1% de son manteau. Il a fait moitié-moitié. Et Jésus lui a fait savoir qu’il était ce pauvre.

         Pour remplacer ce que l’on a donné, il y a une source d’enrichissement qui ne prive personne, qui n’altère pas son patrimoine et n’aggrave pas les inégalités. C’est la parole de Dieu. Elle est riche. Elle rend riche. En plus elle se partage sans s’appauvrir. Ainsi les textes du jour suscitent d’autres aspirations que l’argent. Jérémie et le psaume promettent le bonheur à celui qui met sa confiance dans le Seigneur. Ils proposent cette belle comparaison avec l’arbre désaltéré par le ruisseau dont le feuillage reste vert. Il sera riche, riche du fruit qu’il portera.

Vincent Boggio

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