Quelles sont tes sources ? – homélie du dimanche 23 janvier 2022

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Quelles sont tes sources ?

 

        Quand un frère ou une sœur en humanité, en citoyenneté ou en amitié tient des propos étonnants sur une maladie, en décalage avec les faits observables et les connaissances scientifiques, on peut s’inquiéter de son attitude possiblement mortifère, pleurer devant la désinformation dont il est victime, crier sa colère contre ceux qui le trompent et dont les croyances infiltrent le terrain de la science. On peut aussi tenter de lui rappeler son sens critique et lui demander « Quelles sont tes sources ? » Des copains, une rumeur, Internet ? et surtout : « Quelles sont les sources de tes sources ? » et lui proposer de les analyser paisiblement.

        La question des sources n’échappe pas à la réflexion des chrétiens. Ce que je crois, d’où cela vient-il ? Nous avons bénéficié d’un éveil à la foi et d’une catéchèse de la part de chrétiens plus anciens bienveillants à notre égard et soucieux pour les uns de transmettre un trésor en héritage et pour d’autres de nous donner la carte et les outils pour découvrir le trésor. Adulte, il est normal de s’interroger sur les sources de cette parole transmise depuis des millénaires qui a rebondi un jour de sabbat à Nazareth, là où Jésus avait été élevé. Dans la synagogue où il avait été au caté, il réalise et révèle qu’il est lui-même la source ou plutôt la résurgence nouvelle et puissante d’une source que des générations de scribes et de prêtres, comme Esdras, avaient entretenue et empêché de tarir dans les moments difficiles.

        Certains d’entre nous, curieux d’archéologie, de conservation et de reproduction des manuscrits, de leur traduction et de la critique textuelle ont trouvé dans le travail des savants exégètes des réponses à leurs questions. Jésus parlait en araméen, ses paroles n’ont pas été enregistrées, mais transmises oralement par des témoins oculaires et mises par écrit en grec par des écrivains comme Luc puis recopiés à la main pendant des siècles pour en assurer la multiplication, traduits en latin et enfin imprimés en français. La mémoire des premiers témoins a pu être prise en défaut. Les rédacteurs initiaux ont pu modifier un récit ou une parole, ajouter un événement pour être plus convaincants et faciliter la compréhension des lecteurs. Des copistes et des traducteurs ont pu se croire obligés d’ajouter une précision ou de proposer leur interprétation. Le plus souvent le chercheur curieux ne ressort pas déstabilisé de son exploration mais renforcé dans sa conviction de la cohérence et de la vérité qui émanent de l’ensemble des écrits retenus par la tradition à défaut de leur exactitude.

        D’autres chrétiens n’ont pas besoin de cette étude intellectuelle des sources. Leur suffisent leur cœur et la transformation que la Parole, à force de la lire et de l’entendre, a produit et continue de produire en eux au point qu’ils ne peuvent plus imaginer ce qu’ils seraient, ce qu’ils feraient sans cette parole, source vivifiante qui les inonde. Elle les fait vivre et leur donne envie de faire vivre les autres. Saint Paul est un témoin étonnant de cette transformation. Lui qui fut le premier à écrire après la Résurrection ne parle pratiquement pas, dans les lettres qu’il envoie aux premières communautés chrétiennes, des faits et des gestes de Jésus, mais répète comment le Christ, c’est toujours ainsi qu’il l’appelle, a jailli en lui et lui fait surmonter en cascade les pires obstacles pour annoncer partout que la Parole faite homme est toujours vivante.

        La semaine de prière pour l’unité des chrétiens est l’occasion de rappeler que « Tous nous avons été désaltérés par un unique Esprit ». C’est Saint Paul qui le dit. La source qui irrigue chaque baptisé nous unit dans un même corps. C’est cette Parole de vie qui continue de réunir les membres de ce Corps même s’ils se sont divisés et le restent pour des questions de dogmes, de hiérarchie, de rites dont on n’ose même plus parler aux nouveaux baptisés et qui semblent des vestiges moussus que la source de vie contourne en bondissant joyeusement.

Vincent BOGGIO
23 janvier 2022