Un trésor dans le ciel

« Éprouvante enquête, un travail de vérité, vérité crucifiante pour sortir des ténèbres, douleur, honte, véritable déflagration, un choc, un séisme, un tsunami, une bombe, consternation, désolation ». Voici quelques-uns des mots, des expressions relevés dans la presse ces jours-ci, au sujet de la remise d’un fameux rapport. Comment ne pas faire le rapprochement avec ce court passage de la lettre aux Hébreux que nous avons entendu, où il est question de la Parole de Dieu, vivante, énergique, coupante plus qu’une épée à 2 tranchants ? « Tout est nu devant elle, nous aurons à lui rendre des comptes » ainsi se termine cette sentence : on croirait entendre les conclusions du rapport de la commission Sauvé, puisque c’est d’elle qu’il s’agit et qui a ébranlé notre actualité de la semaine.

C’est avec cette actualité que nous sommes venus aujourd’hui célébrer Celui qui nous appelle à le suivre, comme il le fait à l’égard de ce jeune homme de l’évangile, désireux d’avoir en héritage la vie éternelle. L’héritage, c’est très important quand on a de grands biens. Pour la vie éternelle il croit posséder la clé : il mène une vie droite, respecte scrupuleusement la loi ; que lui manque-t-il donc ? « Jésus posa son regard sur lui et il l’aima » nous dit saint Marc, et cet amour, c’est la raison de l’appel à le suivre. « Oui va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres ».

Cet appel si puissant je l’entends pour notre Église à la suite de ce que nous venons de vivre, une Église sur laquelle Jésus pose son regard aimant. Des trésors elle en a, des richesses matérielles bien sûr, des liturgies grandioses, des mouvements dynamiques, un souci des pauvres bien présent ; les recommandations pour une vie honnête et vertueuse, la littérature d’Église en est pleine. De quoi penser qu’avec tout cela, la vie éternelle est à portée de mains.

Et si c’était à tout autre chose que la Parole de Dieu appelait notre Église? A se déposséder, par exemple de biens immobiliers surdimensionnés au vu de la baisse des activités, mais plus profondément de toute prétention à détenir la vérité, alors que c’est Jésus qui est la Vérité. Cette prétention a toujours poussé les responsables, tous des hommes célibataires, souvent très loin des réalités de la vie, à régenter les consciences, à dicter des lois très éloignées de l’attitude compatissante de Jésus. La commission Sauvé a mis le doigt sur les problèmes de gouvernance dans l’Église, source des dérives mortifères qui ont conduit à la situation décrite et qui explose devant nos yeux ahuris. Oui l’institution Église se retrouve à nu devant le monde à qui elle voulait donner la leçon. Et voilà que c’est ce monde qui la met à nu. Je ne peux m’empêcher de penser à son maître, Jésus, nu sur la croix.

Disant tout cela, je ne voudrais pas me situer en juge innocent : le mal n’est pas seulement chez les autres ; Christian de Chergé, moine de Tibherine en Algérie, assassiné en 1995, écrivait quelques mois avant sa mort : « j’ai suffisamment vécu pour me savoir complice moi aussi du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde » C’est peut-être cela la sainteté : ne pas se croire innocent d’un mal reconnu chez les autres, même le pire. Il est comme une bête sauvage, tapie au plus profond de moi, qu’il me faut dominer.

Et revenant à notre évangile, j’entends le Christ nous dire, comme il le dit au jeune homme riche : « tu auras un trésor dans les cieux ». Même si nous n’avons pas à souhaiter leur existence, notre trésor, le voici: ces victimes d’agressions commises par des prêtres et religieux ; ce sont elles qui demandent de notre part écoute, compassion, justice, comme tous les pauvres que génèrent nos sociétés d’abondance et de jouissance extrême : ils sont nos frères, nos sœurs ; ils nous rappellent que nous sommes tous enfants d’un même père. n’est-ce pas là le plus beau des trésors ?

André Jobard

13 octobre 2021