Une carte postale – homélie du dimanche 10 février 2019

        Hier matin, j’ai reçu une belle carte postale, venant d’un coin perdu sur notre vaste planète : le bord du lac de Génésareth en Galilée. On y voit une foule, des barques de pêcheurs, ceux-ci en train de laver leurs filets, une barque sur laquelle est assis un homme qui semble avoir l’oreille de la foule. Quand le facteur m’a apporté cette carte, il m’a dit d’un ton grave et sérieux : « il s’est passé de grandes choses au bord de ce lac ». Alors j’ai lu avec gourmandise ce qu’avait écrit l’expéditeur de la carte, et j’ai compris effectivement que cette scène aurait un retentissement au-delà des siècles et des frontières.

        Que se passe-il effectivement ? Cet homme qui harangue la foule semble passionné par ce que vivent les pêcheurs. Il a pris conscience de la dureté de leur métier, surtout quand une nuit de travail se solde par un échec. Lui qui ne connaît rien au métier (il paraît qu’il est charpentier), le voilà qu’il suggère à Simon, le commandant du bateau de retourner à l’eau et même d’aller au large. Il n’a pas peur de se faire ridiculiser ! Ce qui est surprenant, c’est Simon qui fait confiance à cet homme (« sur ta parole ») et qui y va, sans hésitation ; comme quoi ce prédicateur a eu raison de croire que Simon était capable de lui faire confiance. Et cela va permettre à Simon de reconnaître en cet homme qui a pris place dans la barque quelqu’un de particulier, quelqu’un qui ne s’arrête pas sur un échec, quelqu’un qui partage sa soif de réussite, devant qui il se sent tout petit. Encore une autre audace de la part de ce prédicateur, celle de dire à Simon que son métier de pêcheur peut prendre une toute autre dimension : « désormais ce sont des hommes que tu prendras », comme si le but ultime de toute activité humaine, de toute profession était de viser l’homme, de travailler à son bonheur. Quel chambardement dans le cœur de cet homme si simple, Simon, patron de pêche ! Sans même qu’on l’appelle, mais tout simplement parce que ce monsieur l’a saisi dans ses profondeurs, il va le suivre, pour vivre une communion avec lui dans cette recherche de bonheur.

        En reposant ma carte postale, j’ai eu le sentiment que l’homme de la barque pouvait aussi nous rejoindre dans nos petits matins, quand certaines de nos nuits sont longues et tourmentées. Il me donne l’audace de dire à ceux qui sont atteints d’une grave maladie de ne pas avoir peur d’avancer au large, de croire que sur ces nouveaux terrains peuvent se trouver des pépites d’or, la fraternité, la compassion, le sens profond de l’existence. Il me donne aussi la force de soutenir des jeunes qui s’engagent dans la voie du mariage malgré ou avec toutes les incertitudes d’une telle promesse. Il me donne l’enthousiasme d’un Isaïe qui vit au milieu d’une société en crise (comme la nôtre) et veut rappeler de ne pas oublier que nous ne sommes pas le tout de l’univers, et que celui-ci est le fruit d’un amour créateur. Il me donne aussi la ferveur d’un Paul qui sait qu’on peut être l’objet d’un pardon qui efface le passé et construit l’avenir.

        Vous devinez bien qu’après la lecture d’une telle carte, j’avais la pêche ! Et moi qui avais la tentation de considérer pour rien ce courrier, j’ai revêtu avec enthousiasme mon habit de pêcheur d’homme pour vous en partager la lecture.

André Jobard

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