Avec audace
A l’heure des échanges de vœux, j’ai eu l’idée de téléphoner à Balthazar, Gaspard et Melchior, d’abord pour leur souhaiter une bonne année, et surtout pour leur demander s’ils avaient eu un faire-part de naissance du roi des juifs, pour s’être mis si facilement en route en direction d’un pays lointain. Savez-vous ce qu’ils m’ont répondu après m’avoir chaleureusement remercié d’avoir pensé à eux en ce début d’année ? Ils m’ont tout simplement dit qu’ils avaient entendu au fin fond de leur conscience un appel à se lever pour aller rendre visite à ce prétendu roi des Juifs. Cette réponse m’a complètement abasourdi, stupéfié, sidéré : « comment faire crédit à une petite voix intérieure et se lancer dans une telle aventure ? » J’en étais là de mes réflexions quand ils m’ont invité à regarder l’étoile, et donc à lever la tête, alors que j’étais rivé sur mes doutes, sur mes questions, sur mes peurs. Et la conversation s’est interrompue : vraisemblablement une panne de réseau !
J’ai donc regardé le ciel, mais d’étoile je n’en ai pas vu, tellement était forte la pollution lumineuse de nos villes, jointe à un ciel couvert de nuages. Une fois de plus j’étais dans une perplexité extrême, quand soudain me sont revenues les paroles d’Isaïe (notre première lecture), invitant à regarder tout autour de moi, à adopter une attitude d’accueil de l’inattendu, à croire que du bon peut surgir de ce que j’ai tendance à estimer mauvais ou insignifiant. Et cela m’a rempli de joie, à l’instar de la joie qu’ont ressentie les mages à la redécouverte de leur étoile. Il faut dire qu’ils avaient été ‘douchés’ par l’accueil plutôt froid de la part d’Hérode et des responsables religieux de Jérusalem, à qui ils avaient parlé d’un prétendu roi des Juifs qui venait de naître. Le manque d’enthousiasme, sinon la méfiance chez ces derniers avait provoqué chez les marcheurs venus de loin une remise en question de leur initiative : « est-ce que nous nous serions trompés ? » Heureusement l’étoile était réapparue après leur visite à Hérode, les assurant qu’ils n’avaient pas fait fausse route. Leur audace, leur courage, leur confiance y compris envers Hérode (sans naïveté, puisqu’en finale ils n’entreront pas dans son jeu et le piège), vont les conduire tout naturellement vers Celui qui a eu aussi l’audace de venir s’immerger dans l’histoire humaine et qui paiera très cher cette audace, puisqu’il sera rejeté.
« De l’audace, toujours de l’audace ! » tonnait un célèbre révolutionnaire. Je crois que l’audace peut être la dominante de la Parole en cette fête de l’épiphanie. Audace à sortir des sentiers battus et de la routine, à changer notre regard sur les personnes, sur les événements, à retisser des liens distendus après une brouille, à cultiver des pensées bienveillantes et de paix, audace à être attentifs aux signes les plus discrets. La crèche a dû paraître bien lointaine aux mages, comme nous semblent très loin la paix, la réconciliation, la justice ; cela ne les a pas retenus. Quand la voix de la conscience appelle à des choix, même difficiles au premier abord, ne craignons pas de l’écouter, confiants que rapidement la joie va prendre place dans le cœur et donner la force de continuer. N’hésitons pas à relire, prier, contempler la parole de Dieu de ce jour. Tous, quelles que soient nos opinions, notre culture, notre religion, nous pouvons vivre l’expérience des mages, puisque cet enfant couché dans une mangeoire, il est venu pour tous, sans conditions. Il est le roi, non plus d’un clan, d’un peuple, mais le roi de tous.
J’ai tenté à maintes reprises de téléphoner à mes amis pour connaître leur sentiment après une telle aventure. Le répondeur se contentait de dire laconiquement : nous avons trouvé le Messie, cela nous suffit.
André Jobard
8 janvier 2023