« Ce n’est pas à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons… » L’évangéliste saint Jean ne craint pas de se faire rappeler à l’ordre par les féministes qui peuvent lui reprocher de mentionner que les samaritains donnent plus de crédit à la parole de Jésus qu’à celle de la femme. Ils ont donc dû faire un pas de plus pour prendre au sérieux les paroles de cette femme, qui, par son témoignage va conduire ses compatriotes à reconnaître en Jésus le Sauveur du monde. N’est-ce pas là une bonne nouvelle, que saint Jean traduit à travers le récit d’une rencontre si particulière au bord d’un puits à l’heure la plus chaude de la journée. Une bonne nouvelle pour nous, surtout à l’heure où nous doutons de la capacité de notre Église à l’annoncer à nos contemporains.
Au bord de ce puits s’engage donc une conversation, toute simple, anodine, comme celles nombreuses que nous pouvons avoir dans la vie ordinaire : « j’ai soif, veux-tu me donner un peu d’eau ? Quelle chaleur ! » En fait pas si anodine qu’il n’y paraît, puisqu’elle va déboucher sur une révélation tout à fait exceptionnelle de l’identité de Jésus. La samaritaine est la figure d’un peuple mal considéré par les juifs, qui avait fait sécession et refusait le pouvoir des religieux de Jérusalem. Les cinq maris dont il est question, certains commentateurs affirment qu’il s’agit des dieux qui sévissent dans cette contrée toute proche des terres païennes, de là son interrogation sur le culte à rendre à Dieu. Peut-être vivait-elle aussi dans un vide affectif considérable qui lui fait crier sa souffrance : « je n’ai pas de mari ». Ces samaritains et cette femme sont peut-être l’image de notre condition humaine, jamais satisfaite ; incapable d’aimer vraiment, de rétablir la paix, de résoudre les différends dans le dialogue, et en recherche de repères et de raisons de vivre ? Quant à Jésus ne serait-ce pas Dieu lui-même, ce Dieu qui a soif pas seulement d’eau fraîche, mais surtout de nous faire connaître la force de son amour, et le chemin pour aller vers lui, en l’aimant en vérité , par toute notre vie, et non par un culte extérieur ?
Finalement à partir d’un verre d’eau, ils vont s’en dire des choses, tous les deux. Ils vont aller très loin dans leur dialogue, à tel point que l’un et l’autre vont oublier ce pour quoi ils étaient venus : la femme abandonne sa cruche, elle n’a plus besoin de l’eau, tellement Jésus l’a comblée. Et Jésus ne daigne même plus manger ce que ses amis lui ont acheté au Carrefour du coin : « ma nourriture, c’est de faire la volonté de mon Père »; c’est de manifester à tous, quelle que soit leur situation religieuse, quelle que soit leur conduite, qu’il les aime passionnément. Le pape Paul VI aimait à dire que l’Église était dialogue ; il me semble que dans ce récit où l’eau fait office d’agent de liaison, le dialogue conduit à la révélation. Dans notre vie, combien de dialogues, d’échanges ont abouti à des découvertes décisives, telle cette eau vive que nos amies Léontine, Marina sont venues chercher en demandant à devenir chrétiennes !
Pour cela il a fallu l’audace, celle de Jésus d’oser demander de l’eau à une inconnue, à une étrangère ; et celle de cette femme qui s’est livrée dans sa recherche du vrai Dieu. Que cette audace nous habite, au-delà des préjugés, des a priori, des peurs ; qu’elle nous fasse grandir dans la rencontre des autres et dans le témoignage de la bonne nouvelle de Jésus.
André Jobard
23 mars 2023