Le curé bien-aimé
Si nous écoutons de façon distraite les lectures du jour (ça peut arriver !), on en retient cependant quelques mots-clefs surtout quand ils sont répétés avec insistance. Aujourd’hui, dans sa première lettre et dans son évangile, Jean nous a parlé d’aimer et d’amour dans tous les sens. Dieu est amour, Dieu nous aime, le Père aime le Fils, le Fils aime le Père, le Fils aime ses disciples, il veut que ses disciples l’aiment et qu’ils s’aiment entre eux. L’amour s’écoule du Père au Fils, du Fils aux disciples puis entre les disciples. Il remonte des disciples au Père en passant par le Fils. C’est une circulation sans fin.
Mais que veut dire aimer ? Aimer et amour sont des mots de chaque jour. Nous conjuguons aimer au passé et au futur, sous forme affirmative, négative ou interrogative. Je t’aime. Tu m’aimes ? Je t’aimerai toujours. Je l’ai aimé. Tu ne m’aimes plus. Je vous aime tous… Aimer dépasse le cadre familial. Même des politiques osent dire « Je vous aime » au peuple qui leur est confié ou qu’ils veulent séduire.
Mais que veut dire aimer ? Que veut dire dit « Je t’aime » quand l’affirmation n’est pas précisée par d’autres mots, et surtout par des actes qui lui donnent du sens ? Pour Jésus, l’amour, c’est donner sa vie. Dieu est la source de l’amour. Il donne la Vie. Jésus donne sa vie. Il le dit, il le fait. Jésus a dit à ses disciples de donner leur vie. Ils l’ont fait. En devenant disciples, nous sommes invités à aimer, à donner notre vie pour ceux que nous disons aimer.
Dans son évangile et dans ses lettres, Jean utilise 120 fois les mots aimer et amour. Cent vingt fois en 60 pages ! Son psychologue aurait dit qu’il avait un TOC, une obsession, et ses amis une fixette. Pourtant je connais quelqu’un qui a fait mieux que Jean. Il s’appelle André. Il est depuis 13 ans et pour quelques mois encore curé de cette paroisse. J’ai relu sur le site paroissial toutes ses homélies et tous ses éditos parus dans l’Echo de la Visitation, la feuille paroissiale. Les mots aimer et amour reviennent 348 fois. Trois fois mieux que Jean. La comparaison n’est pas tout à fait juste, les écrits d’André sont plus longs que ceux de Jean.
Quand André dit aimer et amour, c’est d’abord pour commenter les lectures proposées à la messe. Cet enseignement fait partie de sa mission. Il est payé pour, pas très cher d’ailleurs… Et comment ne pas parler d’amour quand on commente ce que Jésus a dit et ce qu’il a fait ?
Quand André dit aimer et amour, c’est aussi pour nous suggérer – Je dis bien « suggérer » car il commence toujours par « N’y a-t-il pas ? » ou « N’y aurait-il pas ? » – suggérer donc des destinataires privilégiés à notre amour, en plus de nos proches qu’il n’oublie pas, en énumérant ceux que nous risquons d’oublier, les étrangers et les migrants, les pauvres, les sans-abris et les exclus, les malades et ceux qui portent un handicap, les victimes des guerres et des catastrophes. Il salue alors les acteurs du CCFD, du Secours catholique, du groupe solidarité de la paroisse et des visiteurs de malades, sans oublier celles et ceux qui agissent dans le même sens, par amour des autres, sans croire en Dieu.
Quand André dit aimer et amour, c’est aussi, plus discrètement, mais plus souvent ces dernières années, pour relire sa vie et raconter comment son goût pour la rencontre des autres l’a conduit à devenir prêtre et à donner sa vie à Dieu et aux autres.
Enfin quand André suggère aimer et amour, sans le dire vraiment, c’est, notamment dans les échos de chaque rentrée en septembre, pour souhaiter que ses paroissiens tissent des liens toujours plus apaisés et fraternels. Aimez-vous les uns les autres, c’est bien le commandement de Jésus à ses disciples.
Nous venons d’entendre que, dans sa première lettre, Jean appelle « Bien-aimés » les amis auxquels il écrit. André n’a jamais osé dire « Bien-aimés » à ses paroissiens . Mais il me semble (pour reprendre une de ses expressions modestes les plus familières) qu’il les aime et que nous sommes nombreux ici à pouvoir lui dire en retour : « Tu es notre curé bien-aimé. »