Pour un avenir lumineux
« Sur une haute montagne ». Si vous avez eu la chance, qui fut la mienne, de faire l’ascension de cette montagne de Palestine, vous pouvez sourire sur le qualificatif de ‘haute’, cette montagne ne s’élevant que de quelques centaines de mètres de la plaine de Galilée. A comparer avec les sommets des Alpes, cette haute montagne est bien petite. Si l’évangéliste dit qu’elle est haute, c’est parce qu’elle tient une place capitale dans toute l’histoire biblique, et dans la révélation chrétienne. Et nous pouvons en conclure que cet épisode doit être un moment-clé de l’aventure de Jésus avec ses disciples.
Un moment-clé parce qu’ils viennent de vivre la première mission de Jésus, qui fut un succès (guérisons, miracles, paroles fortes, enseignement qui a fait vibrer les foules etc…). A tel point que Pierre n’hésite pas à reconnaître en Jésus le Messie tant attendu par tout Israël (ce Fils d’homme, comme l’annonçait le prophète Daniel dans la première lecture et en qui Jésus s’est reconnu). Mais voilà que Jésus va lui-même rectifier la perception qu’a Pierre de la mission qui lui est confiée, et prévient ses amis que tout cela va mal finir, jusqu’à la mise à mort violente, celle de la croix. Imaginez le choc produit chez ces hommes qui avaient tout misé sur Jésus, attendant de lui de quoi surmonter les épreuves de la vie, parce que tout-puissant, parce que reprenant le pouvoir de David, figure emblématique du roi envoyé de Dieu. Ils se demandent s’ils n’ont pas fait fausse route en quittant tout pour le suivre. Douloureuse interrogation, qui continue peut-être de nous travailler, nous et nos contemporains : à quoi bon la foi, à quoi bon Jésus, si la guerre continue ses ravages, si les catastrophes atteignent les plus faibles, si la maladie nous tombe dessus, si la réconciliation demeure impossible ?
Face au désarroi de ses amis, Jésus prend l’initiative de cette ascension sur la montagne, là où on peut prendre un peu de hauteur, un peu de recul par rapport à la réalité, là où ont eu lieu nombre de révélations fulgurantes dans la Bible (Moïse, Élie, notamment). Il ne s’agit pas d’un retrait du monde, mais de comprendre le sens des événements qui nous atteignent. Dans la lumière de cette rencontre inoubliable, intraduisible (d’où les expressions symboliques), les amis de Jésus vont découvrir que son chemin de vie, chemin de douleurs, d’échec, d’humiliation, de mort, tels nos propres chemins, peut déboucher sur une nouvelle réalité (que les évangélistes appellent la gloire, à ne pas confondre avec la gloriole dont se couvrent les puissants de ce monde). Nous dirions plutôt en langage moderne ‘accomplissement de soi’, ‘réalisation de notre vocation humaine’. Ce sera d’ailleurs ce qui se passera quelque temps plus tard, où sur une autre montagne, le Golgotha, le calvaire, Jésus mourra sur une croix, après avoir dit ces mots si denses : « Tout est accompli ». Un accomplissement authentifié par la gloire de la résurrection, la vie nouvelle du matin de Pâques.
Une rencontre exceptionnelle donc, qui ne dure qu’un instant, même si l’envie est grande de s’y installer, (n’est-ce pas, Pierre, toi qui voudrais dresser 3 tentes ?) Elle se termine par cette invitation à se mettre à l’écoute de Jésus. Quand on a été saisi par une rencontre décisive au cours de son existence, par une expérience spirituelle forte, qui a permis d’avancer, de trouver sens à la vie et à ses soubresauts , il est rare de ne pas ressentir un déclic pour un changement profond de comportement, d’état d’esprit : une sorte d’appel intérieur qui est peut-être la réponse à la parole de Jésus qu’il nous faut toujours écouter.
André Jobard
6 août 2023