Rendez-vous manqué
Ce matin, j’ai ressenti l’urgence d’aller consulter un psychanalyste, à la suite des rêves que je vis depuis un certain temps ; déjà hier je vous racontais celui de ma dernière nuit, et voilà que cette nuit encore, je fus transporté dans un monde imaginaire, où, tenez-vous bien, j’étais exclu de la crèche : il n’y avait plus de place, elle était envahie de moutons avec leurs bergers, il y avait aussi des bovins, et puis toute une troupe céleste qui chantait à tue-tête des cantiques. Pour justifier mon exclusion, on m’a seulement dit : ici il n’y a que les pauvres qui ont droit d’entrer.
Devinez mon état d’âme à mon réveil ! Moi qui me préparais à écrire de belles paroles sur la crèche, sur l’amour qui partant de la crèche devait rayonner sur le monde entier, me voilà anéanti par la vision de cette scène apocalyptique. J’étais donc trop riche, le traitement que me donne mon évêque était trop gros, j’habitais dans un palais trop luxueux ! Et puis, le service des pauvres était le dernier de mes soucis! De quoi me demander où pouvait se nicher ma prétendue richesse qui m’exclut de la crèche. Voilà bien des questions qui me tourmentaient, au point d’envisager l’aide d’un psychanalyste.
Mais avant de prendre rendez-vous, j’ai ouvert ma bible. En lisant ce que dit le prophète Isaïe, son annonce de l’arrivée d’une lumière sur les habitants de l’ombre, je me suis dit : « encore un qui n’a pas ouvert sa télé ces jours-ci, qui ne sait pas que la guerre tue des civils innocents à Gaza, en Israël, en Ukraine, que le pays des droits de l’homme, notre pays, est tenté de mettre sous le tapis la dignité de certaines personnes, etc… Isaïe n’est plus dans le coup, ses propos sont de la pure utopie. » Il faut bien reconnaître que la paix est encore loin, et que ce n’est pas la peine de se bercer d’illusions sous prétexte que nous sommes à Noël. Je me demandais comment on pouvait croire qu’un bébé né il y a 2000 ans dans une mangeoire à animaux au cours de l’exode de ses parents allait changer le monde. Je rejoignais en cela la cohorte de tous mes contemporains qui ont des idées sur tout, des solutions magiques et radicales et qui pensent que seule une véritable révolution politique peut remettre de l’ordre dans les rapports internationaux. J’étais riche de toutes ces certitudes, quand je me suis rendu compte qu’avec ces idées en tête, effectivement je n’avais pas ma place dans la crèche, que ma démarche était inutile.
La crèche en effet est le rendez-vous de tous ceux qui n’ont rien à présenter à Dieu, ceux dont on n’attend rien, comme les bergers, qui se savent bien dépassés par les événements. En venant à la crèche les mains vides, ils gardent intacte leur confiance en Dieu qui manifeste sa fidélité en nous donnant son fils, Jésus. Nous, ce soir, après avoir entrepris notre marche depuis plusieurs semaines comme en témoignent toutes ces silhouettes accrochées sur les murs de l’église, nous venons à la crèche, peut-être le cœur plein de nos soucis, de nos peines. Nous allons dire à ce Jésus, si vulnérable, si proche de nous, nos propres difficultés, et bien sûr nos espérances et nos joies du moment. Et là nous ne risquons pas d’être repoussés.
Et personnellement j’espère que ma prochaine nuit ne sera pas troublée par de mauvais cauchemars et que je n’aurai pas besoin de prendre rendez-vous chez le psychanalyste.
André Jobard
23 décembre 2023