Vigne de Bourgogne, vigne de Jésus ?
« Moi, je suis la vraie vigne ! » Pour avoir dit une chose pareille, il fallait que Jésus ne connaisse pas le vignoble de Bourgogne ! Voilà donc une image employée par Jésus, une de plus, dimanche dernier par exemple il se comparait au bon pasteur, ailleurs il dira je suis la porte, le chemin, la vérité, la vie. Certains sont en droit de critiquer ce qui leur apparaît comme une prétention de la part de cet homme, qui, c’est certain, a fait beaucoup de bien, a prononcé des paroles bienveillantes, nouvelles, stimulantes. Mais de là à se prendre pour un héros, ce n’est pas supportable. En disant cela je pense à un groupe de lycéens qui avaient été choqués par ce discours, avec entre autres, cette affirmation : ‘en dehors de moi vous ne pouvez rien faire’. Quelle prétention et qu’en est-il alors de la liberté de l’homme ? Vous le constatez : il y a besoin d’un approfondissement de ces paroles.
Fils de vigneron, je comprends la force de cette image : comme les sarments de la même vigne, nous sommes reliés les uns aux autres, tributaires ensemble du mode de culture du vigneron, du rôle de la météo, de la terre où elle puise sa richesse. Pas question de faire sécession, de se désolidariser de l’ensemble sous prétexte qu’on est mieux que tous les autres, qu’on a la vraie religion et qu’on a une conduite irréprochable. Cela s’applique à notre vie commune, où le repli sur soi, la critique systématique de celui qui est différent, la dérision devant des initiatives qui ne sont pas les nôtres sapent un vivre-ensemble, condition indispensable pour un monde fraternel, tel que Dieu le veut. Ainsi le fait d’être reliés les uns aux autres et à Jésus, loin d’aliéner notre liberté, nous ouvre un chemin de responsabilité et de vie nouvelle.
Bien sûr cela demande une dose d’humilité, où notre désir de toute-puissance est mis à mal. Il est bon que Jésus nous redise que sans lui nous ne pouvons rien faire, afin d’évacuer toute prétention à nous considérer comme seul acteur de notre vie. C’est aussi le sens de l’émondage, de la taille auxquels est soumis tout sarment s’il veut porter de beaux fruits ; par émondage, j’entends le renoncement pour des parents à une éducation parfaite pour leur enfant, l’échec dans la réalisation d’un projet, même le plus louable, les critiques sur telle ou telle décision ou opinion: épreuve d’humilité au départ, mais qui peut être source d’une grande joie, d’un autre regard. Tant pis si la reconnaissance n’est pas pour soi, mais pour l’autre ; cela peut procurer une joie intérieure de loin plus profonde que l’autosatisfaction. L’humilité c’est le chemin emprunté par Jésus, qui s’est fait serviteur, renonçant à la toute-puissance que pouvait lui donner son statut de fils de Dieu.
Un verbe revient sans cesse dans ce passage d’évangile, celui de ‘demeurer’. J’oppose volontiers à ce terme celui de ‘s’éparpiller’, vouloir être partout, s’enfoncer dans un activisme épuisant et inutile. Demeurer, c’est rester fidèle à ses engagements, fidèle à ses compagnons de route, fidèle à cette parole inestimable, celle de Dieu, Jésus en personne. C’est notre guide, le seul qui peut transformer notre action, même la plus petite, la plus humble, en une œuvre remarquable, et nous faire porter de beaux fruits ; il ne s’agit pas de produire (c’est la sève qui produit) ,mais de transmettre la sève qui ne vient pas de nous. C’est là notre mission.
J’ai essayé, en vain, de joindre Jésus hier soir par les moyens modernes de communication; je voulais l’inviter à venir en Bourgogne voir ce qu’est une vraie vigne : peut-être m’aurait-il appelé à l’humilité, et à l’action de grâce pour avoir la chance d’habiter une si belle région.
André Jobard
28 avril 2024