Le chant de la vigne
Dernièrement, Isaïe et Jésus (vous les avez peut-être rencontrés!) se promenaient entre Pommard et Meursault, et séduits par la beauté du paysage en ces temps d’automne ensoleillé se mirent à chanter un éloge remarquable à la vigne. Ils ne purent s’empêcher de comparer cette merveille à une autre merveille : l’humanité, si riche de toutes ses composantes, œuvre de Dieu créateur, humanité qu’il a voulue heureuse. Revenus à la maison, ils ont ouvert la télé, pianoté sur leurs smartphones pour connaître les dernières nouvelles de cette humanité : quel choc : la vigne s’était transformée en terre de combats, de jalousie, de convoitise. Quelle déception pour Dieu, ont-ils pensé, et quel malheur pour les hommes alors qu’ils avaient dans les mains de quoi bâtir une humanité fraternelle et joyeuse !
Heureusement l’histoire ne s’arrête pas sur cet échec. Tout d’abord de tout temps des alertes ont été envoyées par ceux qu’on appelle des prophètes pour rappeler la vocation de la vigne : produire des bons vins et non du verjus, produire la justice, le partage, l’ouverture aux autres et aux différents, et demeurer dans une attitude de reconnaissance : en effet cette vigne a été donnée, il n’y a pas à l’accaparer comme veulent le faire les vignerons de la parabole ; en agissant ainsi ils se croient propriétaires de leurs biens, de leurs richesses, y compris spirituelles, ils s’estiment les vrais adorateurs de Dieu par leurs dévotions, alors qu’ils portent préjudice, par leur mode de vie, aux plus pauvres et à la nature. De tous temps les prophètes rappellent qu’on ne peut grandir que dans le consentement à une retenue par rapport à ses biens, à ses œuvres, même les plus admirables. Afin que tous puissent bénéficier de ce que Dieu a laissé à l’homme pour son bonheur.
C’est ici que je pense, par exemple, à des parents bousculés dans ce qui leur semblait être des valeurs sûres, par leur enfant empruntant des chemins bien éloignés de ces mêmes valeurs. Je pense à ces personnes âgées qui compte-tenu de leur santé dégradée doivent quitter leur maison pour une institution, je pense aux éducateurs, aux responsables de communautés, aux curés, qui doivent accepter que tout ne marche pas selon leur attente, et qui sont amenés à comprendre les ratés, les limites des personnes. Remettre à Dieu notre récolte, lui rendre grâce, comme nous le faisons à chaque eucharistie c’est accepter de se dé-saisir de ses biens, de ses œuvres, de ses projets ; c’est vivre un certain détachement par rapport à ce que nous avons, à ce qui nous est donné. Mais la liberté, la vraie liberté intérieure, n’est-elle pas à ce prix-là ?
Des prophètes nous en avons aujourd’hui encore. Tout dernièrement un certain François a exhorté l’humanité, chacun de nous, les dirigeants du monde entier, à prendre soin de notre maison commune, malmenée par notre consommation débridée. Son message est un cri d’alarme, le temps presse, et dit-il : « réveillons-nous, sortons de notre torpeur, travaillons à construire une humanité respectueuse de chacun, des plus pauvres et de la nature. » Des prophètes, notre monde, et pas seulement l’Église, en est rempli ; des personnes, des groupes, des associations qui accueillent le malade, l’étranger, le prisonnier sont pour nous des éveilleurs de l’essentiel ; c’est la nouvelle vigne qu’attend notre créateur.
André Jobard
8 octobre 2023