Le pain de vie
Depuis plusieurs dimanches nous écoutons le discours de Jésus sur le pain de vie. « Je suis le pain de vie ». C’est un long discours, un discours en boucle, qui comporte des redites. Certains pourraient se dire : « J’ai bien compris, on pourrait passer à autre chose ».
Or, les passages d’évangile proclamés à la messe ont été choisis par des spécialistes en Écriture sainte. Leurs travaux ont duré 4 ans après le concile. C’est dire combien leur choix a été soigneux. Il a abouti au lectionnaire que nous utilisons depuis plus de 50 ans. Ceux qui ont choisi de nous faire déguster plusieurs dimanches de suite ce discours du pain de vie pour que nous le méditions pendant la semaine, ne l’ont pas fait au hasard. Ils ont voulu souligner la place essentielle de ce discours dans l’évangile de Jean, lequel a recueilli ces paroles de Jésus, les as méditées toute sa vie, et peut-être enrichies en leur donnant par anticipation une tonalité eucharistique (« Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle »), alors que ce même Jean n’évoquera pas la fraction du pain lors du dernier repas de Jésus, comme si ce n’était plus nécessaire puisque Jésus l’avait annoncé dans ce discours du pain de vie : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair ».
On comprend combien ces paroles pouvaient être incompréhensibles pour les Juifs qui interrogeaient Jésus : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Mettons-nous à leur place. Ils n’avaient pas la clef de lecture, celle du dernier repas. Nous, nous l’avons et tout s’éclaire.
Dans ce discours du pain de vie, Jésus alterne les sujets de chaque phrase. C’est tantôt le Père, tantôt le Fils, tantôt les auditeurs. Le Père comme sujet : « Mon Père donne le vrai pain venu du ciel ». Le Fils comme sujet : « Moi je suis le pain vivant qui est descendu du ciel ». Les auditeurs, autrement dit nous-mêmes, comme sujets : « Si vous ne mangez pas ma chair, vous n’avez pas la vie en vous ». C’est simple. C’est lumineux.
En relisant ce discours à plusieurs reprises, il m’a semblé que Jésus, tout en parlant, découvrait ce qu’il était en train de dire et qu’il s’en persuadait : « Je suis le pain de vie ».
En effet, la mission de Jésus ne suit pas un programme écrit à l’avance. Dans l’évangile de Jean, l’ampleur de sa mission lui apparaît progressivement. C’est au fur et à mesure de ses rencontres qu’il en prend conscience. Point de départ : la rencontre avec Jean-Baptiste au Jourdain qui atteste qu’il est le Fils de Dieu. Voilà une sacrée révélation ! Mais que doit-il faire ? Puis la rencontre avec les premiers disciples qui le suivent sans savoir où il va, ce qui a pu étonner Jésus qui devient un Maître à suivre, la rencontre à Cana de jeunes mariés qui lui font découvrir un pouvoir extraordinaire, celui de faire des miracles, puis la rencontre avec les marchands du Temple qui déclenche une colère qui a dû le surprendre, la rencontre dans la nuit avec Nicodème qui le conduit à dire que celui qui croit en lui a la vie éternelle et qu’il est la lumière du monde au milieu des ténèbres, la rencontre avec la Samaritaine où il comprend que sa Parole est une source jaillissant en vie éternelle, et enfin la rencontre avec 5000 hommes affamés auxquels il donne du pain pour nourrir leurs corps.
C’est là que sa mission prend un tournant. A partir de cette distribution de pain, il comprend qu’il est lui-même le pain de vie, qu’il doit non seulement donner sa vie, mais, mieux, sa chair à manger pour que tous ceux qui mangeront sa chair aient la vie éternelle, la vie qui ne déçoit pas comme disait Pierre la semaine dernière. Donner sa vie. Il le fera. Donner sa chair à manger. Il le fera. Et nous mangeons sa chair comme il l’a dit pour avoir la vie éternelle.
Ce n’est pas rien. Gardons-nous au moment de la communion d’en faire une geste banal.
Vincent Boggio
18 août 2024