Que le pardon est difficile !
Il y a deux ans, dans un tribunal du Kentucky, Abdul-Munim, le père de Salahuddin, livreur de pizza poignardé à mort, a pardonné à celui qui plaidait coupable pour ce crime. Il lui a expliqué : « Le pardon est le plus grand cadeau de bienfaisance en Islam »… « Je ne suis pas en colère contre toi » … « Je suis en colère contre le diable. Je blâme le diable qui t’as égaré pour commettre un crime aussi horrible ».
De temps à autre, assez rarement, les médias évoquent de tels pardons étonnants comme celui de Jean-Paul II à Mehmet Ali Agça qui avait tenté de l’assassiner. Cependant on entend plus fréquemment des témoignages du type « Jamais je ne lui pardonnerai. C’est impensable, il m’a fait trop de mal. »
Mon Dieu, que le pardon est difficile ! La question elle-même du pardon est bien difficile
Elle nous poursuit depuis notre enfance. « Demande pardon ! » disaient nos parents quand on avait fat une bêtise. Elle interfère avec notre foi. Elle culmine avec des interrogations vertigineuses : Tout est-il pardonnable ? Peut-on pardonner à celui qui ne demande pas pardon ? Comment demander pardon ou pardonner à celui qui est mort ?
Pour les chrétiens et sans doute pour d’autres croyants, le pardon aux frères et le pardon que nous demandons à Dieu sont liés. Deux siècles avant Jésus-Christ, Ben Sira le Sage a déjà évoqué ce lien que Jésus a repris à son compte.
Au cours de la messe, nous n’arrêtons pas de demander pardon à Dieu. Dès l’ouverture, avec la préparation pénitentielle conclue par « Que Dieu nous fasse miséricorde, qu’il nous pardonne nos péchés« , puis dans le Gloria « Toi qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous« , le Notre Père « Pardonne-nous nos offenses« , que le prêtre prolonge ainsi « Par ta miséricorde, libère-nous du péché » puis « Ne regarde pas nos péchés » Je passe sur le geste de paix qui n’est pas vraiment un geste de réconciliation, sauf en couple quand on s’est disputé avant de partir à la messe. Avant la communion on remet çà « Agneau de Dieu, prends pitié de nous » et enfin « Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri.«
Le profane attentif qui viendrait pour la première fois à la messe pourrait dire à la sortie : « Et bien, vous demandez beaucoup pardon. Pourquoi insistez-vous autant ? Ou bien vous êtes très, très pécheurs…Ou bien vous n’y croyez pas tant que çà à la miséricorde de votre Dieu ? On dirait que vous parlez à un sourd. Ou bien ceux qui ont bâti la messe sont partisans de la pédagogie de la répétition. Ou alors ils ont mis bout à bout des prières anciennes sans se rendre compte que cela créait des redondances. Par contre l’évocation du pardon aux frères est timide : ‘Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés’. On dirait que ça vous écorche la bouche.
C’est pas faux ! On aimerait peut-être dire plus humblement « comme nous pourrions pardonner à ceux qui nous ont offensés !« .
Cette disproportion entre la demande de pardon à Dieu et le pardon aux frères interroge. Tout se passe comme si l’insistance à demander pardon à Celui-ci nous libérait de notre incapacité à pardonner à ceux-là.
Le passage de l’évangile de Matthieu éclaire sur le désir de jésus pour nous, lui qui a pardonné à ses bourreaux. On pourrait habilement éluder la question en disant que la parabole concerne seulement la remise de dettes. Soit ! Que les pays riches remettent leurs dettes aux pays pauvres, voilà une belle lecture de cet évangile. Je ne serai pas étonné que le pape François en parle en conclusion des Rencontres Méditerranéennes à Marseille la semaine prochaine.
Mais la parabole est précédée d’une question de Pierre sur la fréquence du pardon qui interdit de tricher sur le sens de la parabole. La remise de dettes est bien symbole de pardon. Jésus répond donc à Pierre que la répétition du pardon est infinie et il ajoute que le pardon du Père est intimement lié au pardon aux frères. Comme Ben Sira l’avait dit avant lui.
Vincent Boggio – 17 septembre 2023