Une foi soumise à bien des remises en cause
Il était une fois un curé d’une très grande paroisse, dans la banlieue d’une très grande ville, que les circonstances, en partie heureuses pour lui, peut-être plus tristes pour ses paroissiens, amenaient à quitter sa charge, après 13 ans de service. C’était donc l’heure du bilan, avec les considérations habituelles quand un responsable quitte sa charge :dans quel état laisse-t-il les finances ? Quels travaux importants ont marqué son passage ? Combien d’apéritifs et de repas partagés a-t-il initiés ? Combien de baptêmes, de mariages, d’obsèques a-t-il célébrés ? Quel est le montant de la participation de la paroisse au denier de l’Église ? Comment étaient ses homélies ? Donnait-il l’impression d’être un homme de prière ? Avait-il des initiatives en matière liturgique pas toujours conformes au Missel romain ? Sur tous ces sujets, les avis peuvent être variés, suivant ce que chacun estime prioritaire. Il se trouve que l’évangile du jour de sa dernière messe comportait cette magnifique profession de foi de Pierre : « A qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle ? » Il ne lui en fallait pas plus pour le guider dans la relecture de son ministère. Vous avez compris de quel curé il était donc question !
Oui, cette parole de Pierre est une belle profession de foi ; toute la fougue de Pierre est présente dans ces quelques mots. On sait qu’elle fut suivie par un épisode moins glorieux, à savoir le triple reniement à l’heure cruciale, suivi lui aussi par ce dialogue étonnant avec Jésus ressuscité qui lui demande à trois reprises : « m’aimes-tu ? » et qui lui confie la charge de son Église. Cela nous conduit à comprendre que la foi n’a rien d’une certitude définitive, qu’elle est sujette à bien des remises en cause, à des doutes, jusqu’à des reniements. En cela la foi est totalement tributaire du contexte dans lequel nous vivons : un accident de santé, un revers professionnel, la venue d’une mésentente familiale, la situation politique nationale et internationale, tous ces aléas peuvent ébranler notre foi chancelante. Pour avoir partagé beaucoup de choses avec vous, chers paroissiens, j’ai découvert combien il était important, capital même, de rester humble dans l’affirmation de sa foi, qui est plutôt une démarche de confiance. Celle-ci est soutenue par une communauté de croyants, tous balbutiant des mots de foi, et surtout accueillant des situations parfois très bancales, se mettant au service des plus fragiles, revêtant le tablier du service afin de transmettre un peu de cette confiance perdue par les blessures de l’existence.
Je vous avoue que j’ai aimé vous accompagner sur ces chemins de la foi, de l’espérance, de l’amour. Et vous-mêmes vous m’avez soutenu dans mon ministère certains jours moins fastes que d’autres. C’est une réciprocité que nous avons vécue, dans la bienveillance, dans une certaine exigence, dans l’audace, dans l’effort, afin de donner un témoignage de la présence de Dieu à notre histoire humaine. Tout cela me fait dire qu’à notre façon nous avons repris la confession de Pierre, conscients de notre propre fragilité, et confiants en la puissance du Christ ressuscité.
Ayant dit tout cela, je pense que certains d’entre vous attendaient une explication de la pensée de Paul, qui nous heurte avec ses mots tellement dissonants dans notre modernité : « Femmes, soyez soumises à vos maris ». J’entends parfois le reproche fait aux prédicateurs de sauter par dessus une telle difficulté. Je me risque à dire que pour les comprendre et surtout les recevoir comme Parole de Dieu, il faut sortir du contexte de l’époque pour entendre l’appel à une véritable conversion dans nos rapports les uns avec les autres afin d’aimer tout homme, toute femme comme Jésus qui a aimé jusqu’à donner sa vie. Ouf ! Et si j’ai un ultime message à vous transmettre, c’est bien celui-là : changeons nos cœurs, gardons présent en nous et dans notre paroisse, ce souci d’une conversion permanente, puisque avec Pierre, nous affirmons que Jésus a les paroles de la vie éternelle.
Pour revenir à l’histoire de ce curé qui faisait le bilan de son passage dans sa paroisse, la légende dit qu’après un tel bilan, son évêque accepta son souhait de faire valoir son droit à la cessation de sa responsabilité pour profiter d’une retraite paisible et féconde.
André Jobard
25 août 2024