Heureux, même en novembre
« Heureux ! » Pensez-vous vraiment que nous pouvons être heureux au mois de novembre, mois des défunts, mois du souvenir de la grande catastrophe humanitaire de la guerre 14-18, mois où les jours baissent de façon vertigineuse, quand la météo se revêt d’une grande tristesse, et en ce mois de novembre 2023, où notre humanité est plongée dans des violences sur nombre de ses territoires ? Et pourtant des chrétiens, des gens illuminés, diront certains, osent proclamer cette invitation au bonheur, avec ce texte bien connu, des béatitudes. Comment comprendre ce discours paradoxal au cœur de notre célébration où nous voulons prier pour la paix ?
Avant d’être un enseignement moral, comme parfois il a pu être interprété, ce discours dans la bouche de Jésus procède d’un regard qu’il pose sur ces foules qui le suivent depuis un certain temps : « voyant les foules, Jésus gravit la montagne ». Ces foules, ce sont tous ces gens malades, découragés, assoiffés de paix, de justice, des affligés de toutes sortes, des exclus ; ils ont entendu dire qu’un certain Jésus, de Nazareth, était apparu dans leurs contrées, qu’il avait des dons prodigieux pour soulager toutes ces souffrances, qu’il avait une parole puissante, qui ne laissait pas indifférent. Oui, Jésus est certainement saisi de compassion devant cette réalité, qui pour lui ne doit pas être une fatalité. C’est pourquoi il lâche ce mot ‘heureux’, que certains exégètes ont traduit par ‘debout, en marche’, laissant entendre que Jésus veut casser une spirale de la désespérance, en invitant à regarder autrement ce qui se passe dans la vie. Il sait qu’au cœur des drames les plus atroces, des paroles, des gestes, des regards peuvent soulever l’espérance, et une joie, très loin de nos canons définissant le bonheur. Comment ne pas éprouver par exemple une vraie émotion, source d’une joie profonde quand un pardon a pu être vécu au sein d’une famille, ou après un violent désaccord ou même un acte criminel ? C’est à tout cela que pense Jésus quand il ose proclamer ‘heureux les miséricordieux’, c’est à vivre cela qu’il nous invite.
Et en ce jour de prière pour toutes les victimes passées et présentes des guerres, des conflits de toutes sortes, laissons-nous bousculer par cet appel des béatitudes. Sachons être des messagers de paix, à commencer dans nos pensées, dans nos paroles. N’abandonnons pas le combat pour la justice, pour la vérité, pour le pardon, pour des rapports humains emplis de douceur. Laissons-nous ébranler par les larmes de ceux qui souffrent, car les larmes partagées génèrent la paix, la vraie joie.
Que notre assemblée de ce matin nous transforme de l’intérieur ; reconnaissons notre pauvreté, notre impuissance devant la complexité des défis à relever pour une société plus fraternelle. C’est par là que l’invitation au bonheur proposée par Jésus nous rejoindra et nous apportera la véritable joie.
André Jobard
11 novembre 2023 – Messe pour la paix et les victimes de guerre