Qu’il prenne sa croix
Jésus disait à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, et qu’il me suive. » Voilà qui est clair. Y’a qu’à ! Pas facile mais possible ! Paul va dans le même sens : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu ». C’est tout aussi clair. Y’a qu’à ! Pas facile mais possible !
Sauf que j’ai tronqué la phrase de Jésus. Il dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » « Qu’il prenne sa croix. » Cette phrase est gênante. Quelle est cette croix individuelle (« sa croix ») que Jésus invite ses disciples, nous invite, à prendre pour le suivre ? Il ne le précise pas.
« Qu’il prenne sa croix. » C’est peut-être la croix du martyr. En annonçant sa Passion, Jésus pressent que ses disciples, dont Pierre, seront martyrisés pour l’avoir suivi. Martyr s’entend ici au sens propre. Mourir en martyr, c’est subir un supplice souvent sadiquement raffiné et prolongé destiné à faire renoncer à la foi, c’est donc accepter la mort plutôt que d’abjurer. C’est aussi, sans le vouloir, renforcer la foi de ses amis et favoriser l’éveil à la foi de ceux qui découvrent que le verset du psaume de ce jour « L’amour de Dieu vaut mieux que la vie » est une réalité pour les martyrs. Si l’Évangile s’est répandu si vite dans les premiers siècles, c’est d’abord à cause de la force du message, c’est aussi à cause du martyre de nombreux messagers.
« Qu’il prenne sa croix. » C’est peut-être la croix de la souffrance. J’ai demandé à mon amie Marie-Thérèse ce qu’elle pouvait dire de cette phrase de Jésus, elle qui vit en EHPAD, rendue dépendante par une maladie invalidante et douloureuse. Elle m’a dit : Ma vieillesse difficile m‘invite à regarder surtout la croix des autres résidents ; nous nous suivons les uns et les autres en portant chacun une croix, modeste par rapport à celle du Christ mais la somme de ces croix égale celle du Christ ; suivre le Christ, c’est ne pas chercher à l’atteindre ; je rencontre chaque jour des aides-soignantes qui ont le visage de Simon de Cyrène et de Véronique ; j’ai prêté mon huile d’amandes douce pour oindre les lèvres d’une autre résidente proche de la mort.
« Qu’il prenne sa croix. » C’est peut-être la croix de l’amour. La Croix du Christ, c’est le signe de son Amour, amour vécu jusqu’à la mort. Amour incommensurable. Amour total. Nous aussi, disciples du Christ, nous aimons. Nous aimons Dieu, nous aimons les autres. Mais notre amour est très en deçà de celui du Christ pour le monde. « Qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » J’entends : « Que chacun aime comme il le peut et qu’il me suive. » Le Christ connaît les limites de l’amour de ses disciples et de chacun de nous. Chargé de notre croix d’amour, petite, nous pouvons suivre l’immense croix d’Amour du Christ pour aimer toujours davantage.
Dans les célébrations de mariage, on entend presque toujours la première lettre aux Corinthiens et son hymne d’amour : « L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas… » Paul donne 16 couleurs à l’amour. Notre amour pour les autres est coloré de quelques-unes de ses couleurs. Mais il en manque toujours, l’empathie, le pardon ou d’autres. En suivant Jésus nous pouvons enrichir la palette et faire de l’amour un arc-en-ciel.
« Qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Il y a d’autres façons de comprendre cet appel. Chacun est invité à en trouver le sens en « renouvelant sa façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu », comme Paul le propose.
Vincent Boggio
3 septembre 2023