Le dernier évangile
Si vous étiez hier à la « messe de la nuit » et que vous êtes venus aujourd’hui à la « messe du jour », vos proches s’inquiètent peut-être de cet excès de piété. Alors proposez-leur de lire les deux passages d’évangile. Ils comprendront que l’inouï de la Nativité justifie votre présence aux deux messes.
Hier Matthieu nous a raconté la naissance de Jésus comme s’il parlait à des enfants avec de belles images : des parents, un nouveau-né, une mangeoire, des anges et des bergers. Aujourd’hui Jean rappelle à des chrétiens convaincus le sens profond de l’Incarnation : « Le Verbe s’est fait chair ».
Les plus anciens parmi nous, qui ont connu la messe en latin, avant 1965, se souviennent que ce texte de Jean était le « dernier évangile ». Après la bénédiction finale et l’envoi « Ite missa est », le prêtre se retournait comme s’il avait oublié quelque chose. Il récitait à voix basse ce texte de Jean, prologue de son évangile « In principio erat verbum… » pendant que le servant de messe s’impatientait car il avait faim puisqu’il était à jeun… Là vous sentez que c’est du vécu !
Que ce morceau d’évangile ait pu être lu pendant des siècles à chaque messe en plus de l’évangile du jour, cela dit assez combien il est fondamental, ce que ce jeune servant ne pouvait pas comprendre, même après l’avoir traduit en français.
Il aurait fallu lui expliquer que ce Verbe-là ne désigne pas une action, comme on l’apprend à l’école, mais qu’il a une majuscule parce que c’est la Parole de Dieu, et que la chair, c’est la vie des hommes.
Il aurait mieux compris si on lui avait dit simplement « La Parole, celle de Dieu, s’est faite Homme, ou encore plus simplement « Dieu s’est fait Homme, il a habité parmi nous ». Alors il aurait dit « Ben oui, je sais, c’est Jésus, dans la crèche ».
Nous avons appris à aimer cette Parole majuscule. Elle ne se réduit pas aux mots, aux phrases, aux paraboles de Jésus, mais elle comprend les gestes qu’il a posés, les signes qu’il a donnés, toute sa vie. On pourrait relire les évangiles en remplaçant partout « Jésus » par « la Parole de Dieu ». La Parole a grandi à Nazareth, la Parole a appelé des disciples à le suivre, la Parole a guéri les malades, la Parole a pardonné les pécheurs, la Parole a été acclamée par les foules, la Parole a chassé les vendeurs du Temple, la Parole a fait peur à certains, la Parole a été clouée sur une croix pour la faire taire. Mais elle est revenue à la vie.
Cette Parole vivante nous la cultivons pour qu’elle grandisse en nous, nous la soignons pour qu’elle ne soit pas maltraitée ou manipulée, nous la partageons avec d’autres pour ne pas la trahir, nous faisons savoir combien nous l’aimons pour que d’autres la découvrent, et nous continuons de la dévorer en particulier à la messe pour nous en imprégner, pour qu’elle devienne une part de nous, pour que ce Dieu qui a partagé notre humanité nous unisse à sa divinité.
En même temps, comme dirait l’autre, la Parole ne nous enferme pas. Elle excite notre discernement et nous pousse vers les autres, tous les autres.
Quant à ce morceau d’évangile, qui a conclu tant de messes, vous pouvez le déguster quand vous voulez. On le trouve facilement sur Internet en français ou en latin. Cliquez sur ce lien : « Jean chapitre 1, versets 1 et suivants. » Et vous pouvez poursuivre sur les autres chapitres. Ils racontent la vie parmi nous de ce Verbe qui s’est fait chair et qui nous est très cher.
Vincent Boggio
25 décembre 2023 – Noël