Les béatitudes comme un miroir de la foi
Chers amis, chers frères et sœurs,
Je pense qu’il faut tout une vie pour épuiser cet évangile des béatitudes que nous venons d’entendre. On peut l’entendre de plusieurs manières : comme un projet de vie, comme un encouragement… On peut aussi y voir la vie de Celui qui parle : la vie de Jésus qui s’est fait pauvre, petit et qui a été persécuté, avant de faire de sa croix un chemin de gloire, pour tous ceux qui croient et espèrent en lui. Un jour, j’étais jeune séminariste, alors que j’avais fini de lire un livre écrit par un pasteur presbytérien qui parlait avec un très grand enthousiasme de La puissance de la louange (c’est d’ailleurs le titre de ce livre qui contenait beaucoup de témoignages), j’avais dit à mes frères et sœurs qu’il fallait que nous remerciions Dieu pour la maladie et les souffrances atroces de notre tante qui souffrait horriblement. Qu’il fallait que notre tante soit dans l’action de grâce et la reconnaissance pour cette maladie. Je peux vous dire que mes frères étaient bien choqués et scandalisés. On peut bien essayer de rendre grâce à Dieu pour toute chose et pour toute situation (c’est ce que Saint Paul nous recommande), mais s’il vous plait, n’allez pas dire à une personne qui est dans la douleur et qui pleure, que c’est une situation heureuse qu’elle traverse, et que le royaume des cieux lui est donné. N’allez pas dire à quelqu’un qui a faim, « sois heureux par ce que tu as faim, car tu seras rassasié » ; Donnez-lui plutôt de quoi se rassasier ici et maintenant, et vous lui ferez un grand bien.
Il est clairement difficile, voire dangereux d’appliquer les béatitudes aux autres. Elles ne sont pas un argument pour ne pas regarder en face la souffrance ou encore pour esquiver très astucieusement et peut-être même chrétiennement les situations difficiles que nous-mêmes ou des personnes qui nous entourent peuvent traverser. On ne doit pas se cacher derrière les béatitudes pour ne pas lutter pour un monde plus juste et plus apaisé.
Je vous propose de regarder aujourd’hui les béatitudes comme un miroir qui vous renvoie votre propre image. Et peut-être aussi l’image d’un autre.
Quelle image de nous-même nous renvoient les béatitudes quand nous les regardons comme un miroir de foi ? Quand je me regarde dans cette phrase « heureux les pauvres de cœur », je découvre peut-être mes pauvretés ; Quand je médite cette béatitudes « heureux ceux qui ont faim et soif » je découvre mes faims et mes soifs les plus profondes ; en continuant, je peux découvrir mes persécutions, mes combats, mes manques de douceur ou mes besoins de douceur. Mais ce que je découvre aussi et surtout, c’est une forme d’espérance. Espérance et non complaisance. Les béatitudes peuvent nous rassurer. Elles nous disent que la pauvreté de notre cœur peut nous permettre de nous rapprocher du royaume de Dieu ; que notre tristesse peut nous permettre de sentir une vraie consolation, une consolation qui vient de Dieu. Que les persécutions et les situations ne sont pas la fin de tout, et qu’au contraire cela peut servir notre salut éternel. Mais en même temps les béatitudes nous renvoient l’image d’un autre qui n’est pas nous. Elles nous renvoient l’image de celui qui les proclame dans l’Évangile. Et nous invitent à partir de Lui.
Frères et sœurs, le miracle des béatitudes est possible lorsque nous avons les yeux fixés non pas sur nous-mêmes mais sur Celui qui pour nous s’est fait humble et miséricordieux. Et pour cela, nous avons toujours le choix, soit de partir de nous-mêmes comme le centre de tout – et Dieu sait que c’est la plus grande tentation de notre temps – soit d’accepter de nous recevoir d’en haut. Accepter d’être encore « enseignable », de faire les choses non pas comme nous voulons, non pas comme il nous parait agréable et beau de les faire, mais comme Dieu veut qu’on le fasse. C’est une manière d’accepter et d’accueillir les médiations naturelles et institutionnelles (Les enfants par rapport à leurs parents, l’Église, la tradition, la hiérarchie…) Le chemin des béatitudes est pour ainsi dire un chemin d’obéissance où l’on se laisse enseigner par la parole et l’exemple de Jésus. Un chemin où l’on se découvre soi-même comme étant limité, mais alors promis à un bonheur véritable : le bonheur de ceux qui ne partent pas d’eux-mêmes, mais qui accueille la volonté et la sagesse de Dieu. De la nuit de la faim, de la soif, de la persécution et même du doute, pourra naître une lumière. La lumière de la foi. L’obéissance de la foi rend possible pour chacun de nous aujourd’hui le miracle des béatitudes.
Judicaël Mitokpey
29 janvier 2023