Un autre Dieu
Je vous annonce aujourd’hui un autre Dieu. N’ayez crainte, je ne crois pas être atteint d’un accès de folie, mais la lecture et la méditation de ce grand texte des pèlerins d’Emmaüs, pourtant très connu, m’a une fois de plus bouleversé dans ma perception de Dieu, à tel point que j’ose affirmer que c’est un Dieu encore nouveau qui s’est révélé à moi. Dieu, on n’a jamais fini de le découvrir. L’expérience que vivent ces deux personnages en route vers Emmaüs est riche d’une révélation du Dieu de Jésus.
Tout d’abord Luc nous présente ces deux personnes complètement perdues après ce qui est arrivé à leur ami, un certain Jésus sur lequel ils avaient mis tant d’espoir. Elles vont être rejointes dans leur peur, dans leur désarroi par un étranger qui veut s’associer à leur entretien. Un inconnu qui certainement a repéré leur tristesse se met tout simplement à leur disposition pour essayer de comprendre le sens de ce qui leur arrive. J’aime beaucoup cette attention de Jésus à nos existences, alors que nous déplorons souvent le silence de Dieu, l’accusant d’être indifférent à nos malheurs ; voilà qu’il se mêle à nos conversations. Étrange ce Dieu qui nous rejoint sur nos chemins d’infortune.
Le deuxième point qui m’a séduit c’est le fait que cet étranger a l’audace de rattacher tout ce vécu à un vécu plus large, qui embrasse l’histoire de Dieu avec les hommes, ce qui donne un éclairage déterminant, une lumière qui réchauffe le cœur, et qui appelle à aller plus loin dans le partage, jusqu’à désirer rester ensemble pour le repas tandis que le soir tombe. C’est un Dieu pédagogue qui se présente à ces marcheurs déboussolés ; c’est à nous qu’il donne sa parole pour que nous trouvions sens à nos existences en apparence vides de sens.
C’est donc un Dieu qui se met à notre table dans une auberge de campagne, et qui partage le pain, non sans avoir prononcé la bénédiction : la bénédiction, c’est une manière pour lui de rappeler que tout ce que nous avons, tout ce que nous vivons vient d’un autre, ce qui nous éloigne de toute tentation d’absolutiser notre pouvoir, notre savoir, notre avoir. Pour un moment inoubliable, qui révèle une présence bien au-delà d’une seule présence physique, puisque même quand elle disparaît, elle demeure brûlante dans les cœurs : « à la fraction du pain, ils le reconnurent ».
Loin de rester en extase devant cette révélation, nos deux compagnons se mettent vite en marche et retournent à Jérusalem, pour retrouver les frères et sœurs qui avaient marché avec eux derrière Jésus. Leur peur et leur désarroi se sont transformés en élan enthousiaste pour proclamer que la mort n’a pas eu le dernier mot, que tous nous sommes appelés à dépasser le cycle infernal de la vengeance, de l’indifférence, de la violence, celle-là même qu’a subie Jésus. C’est un Dieu qui veut la vie, qui appelle à renouveler notre comportement et qui se révèle dans les transformations que nous consentons à vivre, même si celles-ci semblent exigeantes. Avouez frères et sœurs, qu’il s’agit bien d’un autre Dieu que celui des tenants des pouvoirs religieux qui voudraient enfermer Dieu dans l’image d’un absolu devant lequel la seule attitude serait de s’abaisser. Le Dieu de Jésus c’est le Dieu de bonté, qui nous veut debout, ressuscités, comme l’est Jésus.
Tout cela nous le vivons dans chaque eucharistie : c’est une rencontre entre frères et sœurs d’une même famille, où nous partageons nos peines et nos espoirs, où nous relisons ensemble et avec lui la grande histoire du peuple de Dieu, à laquelle nous pouvons raccrocher notre propre histoire. Il se met à notre table et nous mangeons le pain après avoir rendu grâce dans la grande prière eucharistique. La fraction du pain renouvelle le signe de sa présence réelle au milieu de nous et nous envoie dans le monde travailler à la résurrection de son royaume d’amour et de paix.
André Jobard
23 avril 2023