Jésus, un héros ? – homélie du dimanche 1er mars 2020

 

        Alors que notre monde est bien malade, pas seulement du coronavirus, mais d’un mal-être plus profond, alimenté par une succession ininterrompue de nouvelles affligeantes (guerres, catastrophe humanitaire en Syrie, au Yémen et dans bien d’autres pays), je me suis demandé pourquoi la liturgie s’entêtait à nous présenter chaque année en début de carême ce texte des tentations de Jésus. Épisode où on le voit vainqueur d’une situation d’inconfort réel (40 jours sans manger), chose qu’il nous est pratiquement impossible à vivre. Cet exploit de Jésus attise en nous le sentiment de notre petitesse, de notre fragilité, et se rajoute au malaise ressenti devant la marche chaotique de notre monde.

        Et pourtant, quelle chance de réentendre cet épisode, surtout en le mettant en parallèle avec le texte de la genèse, qui relate la faute d’Adam ! Je vois là plusieurs appels pour notre vie, pour une vie meilleure, plus belle.

        Tout d’abord le fait que Jésus ait été conduit au désert par l’Esprit ; on penserait plutôt que le Saint Esprit nous pousse dans des lieux plus hospitaliers, plus attrayants. Vivre le désert c’est tout, sauf réjouissant. C’est là que l’Esprit nous conduit, c’est dans ce monde compliqué, dur, injuste que l’Esprit veut nous emmener ; Il est donc là au milieu des difficultés dans lesquelles nous nous débattons. Ne croyons jamais que Dieu est absent là où sévit le mal. Quelle source d’espérance !

        Ensuite, homme comme nous, Jésus a été tenté par le pouvoir que lui donne son titre de fils de Dieu, au point de s’estimer en droit de s’accaparer la création à son profit (comme par exemple vouloir changer les pierres en pain ). Pour nous, est-ce que le fait d’être croyants, enfants de Dieu nous donne tous les droits ? Ne disons-nous pas souvent : « puisque j’ai la foi et que j’aime Jésus, la vie doit se dérouler devant moi sans embûches » ? Sous-entendu, des droits que les athées, les non pratiquants n’auraient pas. Est-ce si simple que cela ? A la triple provocation du démon, Jésus répond par la Parole de Dieu, c’est-à-dire qu’il se soumet, il accepte de ne pas tout avoir, de ne pas tout comprendre, contrairement à Adam et Eve qui ont voulu se rendre maîtres du jardin et de la connaissance. La meilleure parade pour ne pas nous retrouver nus, dépossédés de tout, c’est d’assumer nos propres limites, reconnaître que nous ne sommes pas tout-puissants. Et face à l’actualité, face aux scandales qui ont éclaboussé encore dernièrement notre Église, face à nos difficultés de vivre la charité ou de respecter la nature, quoi de mieux que de savoir que Jésus a partagé nos tentations ?

        Enfin ce récit se trouve au début du ministère de Jésus ; il va imprimer toute sa vie ; il trace un chemin, qui le conduira à manifester son amour et celui de son Père jusqu’à la croix, et jusqu’à la résurrection. Le carême nous donne la chance de suivre Jésus sur ce chemin, fait de douleurs, de tentations, mais aussi habité d’une douce présence, celle de l’Esprit qui nous a conduits là, qui nous appelle à ne pas baisser les bras, avec comme horizon au-delà de la croix cette vie nouvelle que nous avons reçue à notre baptême. Pas question de performances ou de culpabilité parce que nous ne sommes pas des héros. Mais savoir que des anges seront toujours à nos côtés pour nous servir, voilà une très bonne nouvelle.

André Jobard

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