Correction fraternelle – homélie du dimanche 6 septembre 2020

 

Correction fraternelle

 

        Il y a quelques jours la presse racontait l’histoire d’un prêtre américain dont le baptême avait été jugé non-valide parce que le diacre qui l’avait baptisé quand il était enfant aurait dit « Nous te baptisons » au lieu de « Je te baptise ». Ce prêtre a donc été rebaptisé, reconfirmé et re-ordonné diacre puis prêtre. Cette décision a surpris puisque l’Église a toujours su prendre en compte les erreurs et même les crimes, souvent beaucoup plus graves, de ses ministres ordonnés et considéré comme valides les sacrements qu’ils avaient pu conférer. De nombreux catholiques, laïcs et clercs, ont réagi, les uns avec colère, les autres avec tristesse ou humour contre un tel rigorisme contre lequel Jésus a si souvent bataillé dans ses débats avec les pharisiens.

        En même temps, ces réactions, pourtant dirigées contre la hiérarchie de l’Église, souvent considérée comme toute-puissante, ont un parfum de liberté, une jolie fraîcheur. Elles m’ont fait penser à la correction fraternelle, évoquée aujourd’hui dans 2 lectures. Le Seigneur commande à Ezéchiel d’engager le méchant à abandonner sa conduite mauvaise et Jésus dit à ses disciples qu’ils doivent faire des reproches à ceux de leurs frères qui ont péché. Ce passage de l’Évangile est souvent évoqué par les chrétiens lorsqu’ils se croient autorisés à faire des reproches à d’autres chrétiens.

        Il arrive que dans l’Église, par exemple dans une paroisse, un frère ou une sœur reproche à un autre ou une autre une parole, une omission, une décision, une action, une erreur. Ce reproche blessant est souvent décourageant pour ceux et celles qui se donnent de la peine pour les autres, même s’ils perçoivent que leurs accusateurs sont souvent des pessimistes, davantage habitués à reprocher qu’à complimenter, ou tournés vers un passé dont ils cultivent la mémoire sans chercher à s’adapter au présent.

        Il y a quelques années j’ai suivi une formation en pastorale de la santé au cours de laquelle Gustave Martelet, un jésuite théologien chevronné, blanchi sous le harnais des débats dans l’Église, nous a dit : « La correction fraternelle, c’est très difficile. J’ai essayé, ça ne marche pas. Je vous la déconseille… » Venant d’une telle pointure, cela fait réfléchir.

        En fait, quand Matthieu reprend les paroles de Jésus « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches… », il s’adresse aux jeunes communautés chrétiennes, celles qui, après les années de fraternité totale décrites au début des Actes des Apôtres, commencent à connaître les difficultés de toutes les assemblées humaines. Les péchés que Matthieu envisage ne sont pas des manquements occasionnels mais ce sont des péchés qui perturbent la vie communautaire ou jettent le discrédit sur le groupe. Il s’agit des scandales qu’il évoque longuement dans les versets précédents et qui peuvent conduire après un discernement long et soigneux de la communauté d’exclure un de ses membres. Ces situations sont possibles. Elles sont rares.

        Alors méfions-nous de cette notion de correction fraternelle. Si on estime devoir y avoir recours, il faut bien entendu y mettre du tact, peut-être de l’humour et surtout être constructif, ne pas chercher une satisfaction personnelle mais chercher à faire grandir l’autre. Et puisqu’il s’agit de deux chrétiens, donc deux personnes que le Christ a fait se rencontrer, on peut, avant le reproche se souvenir de cette parole de Jésus : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux ». Cette présence médiatrice est apaisante.

Vincent Boggio

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