Porter la clameur du monde – homélie du dimanche 20 janvier 2019

        « Ils n’ont plus de vin ! » Voilà une parole qu’on n’a pas entendue dans la bouche des bourguignons cette année : les tonneaux et les cuves sont pleins. Si d’aventure ils venaient à manquer de vin, après une récolte calamiteuse, je ne suis pas certain que les vignerons, même les plus attachés à la foi chrétienne, puissent croire que des cuves pleines d’eau vont se changer en tonneaux de vin !

        « Ils n’ont plus de vin ! » Cette parole en revanche, je l’entends derrière la clameur qui monte d’un peu partout dans notre pays, dans notre monde, portée par certains mouvements sociaux et plus généralement par toutes les victimes de l’injustice, de la misère, de la violence, de l’exclusion. Une clameur que portera à son heure Jésus cloué sur la croix. En effet usant du langage symbolique, Jean veut annoncer à travers cette scène sympathique des noces de Cana, qui prend place au tout début du ministère de Jésus, l’autre scène moins sympathique, située à la fin de sa vie, celle de la passion de Jésus. Toutes deux évoquent ce que le prophète Isaïe avait annoncé et que nous avons entendu dans la première lecture : les noces de l’humanité avec Dieu.

        Il s’agit du premier signe de Jésus, nous dit saint Jean, et ses disciples curent en lui. Nous avons donc à faire à une ouverture solennelle avec des mots très forts, des mots qui peuvent même nous dérouter : « femme, mon heure n’est pas encore venue. » A nous qui connaissons le récit de la passion de Jésus selon saint Jean, l’heure c’est aussi l’heure de la glorification, c’est-à-dire l’heure de la mort, et sur la croix, Jésus appellera sa mère « Femme ». Les noces de Cana nous parlent déjà de Jésus en croix qui scellera de manière définitive l’Alliance nouvelle entre Dieu et l’humanité. Et cet événement, comme celui des noces de Cana appellera les disciples à mettre toute leur confiance en Jésus.

        Forts de cette révélation, nous pouvons nous mettre au travail pour réaliser ce que Jésus demandait aux serviteurs : « remplissez d’eau les jarres ». Bien sûr cela demande cette confiance qu’ont eue ces hommes qui au départ se sont bien demandé à quoi pouvait servir pour avoir du vin le fait de remplir ces récipients d’eau, et jusqu’au bord. J’entends cette demande de Jésus comme l’invitation pour nous à une très grande confiance en ce que les événements quotidiens proposent comme appels, comme investissements gratuits dans notre service fraternel. Nous sommes souvent tentés de dédaigner des appels qui nous sont adressés, avec ce style de question : «  à quoi bon donner de l’argent à des pauvres qui en feront un mauvais usage, ou à des associations dont les dirigeants vont accaparer cet argent pour eux » Nous sortirons toujours les mêmes prétextes, à savoir que tous ces appels ne serviront à rien, que tout est déjà ficelé, qu’il n’y a vraiment pas lieu de se déranger pour un débat, pour un changement d’habitude, pour la recherche de nouvelles façons d’être présent à notre monde.

        Nos dons sont variés, dit saint Paul. C’est vrai, tout le monde ne peut pas faire tout ; mais à travers nos différences, nos aptitudes personnelles, c’est le même Esprit qui agit. Prions pour que cet Esprit continue d’irriguer nos actions, nos paroles, nos engagements. C’est bien avec tout cela, que Jésus pourra continuer à changer les eaux de notre désespoir en vin de joie, celle-là même qui accompagne les noces de notre humanité avec Dieu.

André Jobard