Vous avez dit : fragile ? – homélie du dimanche 19 juin 2022

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Vous avez dit : fragile ?

« Renvoie cette foule ! » « Oui, qu’ils se débrouillent entre eux, quant à nous restons bien tranquilles dans notre petit groupe loin de la faim des hommes ! » telle est l’attitude des disciples de Jésus devant ce qui leur paraît insurmontable : nourrir cette foule de 5000 hommes. Une attitude pas très généreuse, le moins qu’on puisse dire. Et une pure logique comptable : 5 petits pains et 2 poissons : ça ne peut pas faire. Pourtant ce sont ces quelques vivres sur lesquels Jésus va prononcer une bénédiction, c’est-à-dire il va remercier Dieu pour ces petits riens. Étrange paradoxe, peut-être signe de ce règne de Dieu, objet des enseignements de Jésus tout au long de cette journée.

En cette fin d’année scolaire, l’heure est aux bilans de toutes sortes. Cette semaine avait lieu une rencontre avec les personnes (des mamans) qui ont animé les groupes de catéchèse et d’aumônerie. Il est certain que nous pourrions nous arrêter sur les chiffres extrêmement bas des effectifs et nous lamenter sur toute cette jeunesse habitant nos quartiers que l’Église ne rejoint plus. Une jeunesse, qui est peut-être affamée comme les foules de l’évangile, affamée de connaissances, mais surtout de signes d’amour, d’espérance. Comment quelques unités d’enfants et de jeunes participant à une vie d’Église peuvent-ils apaiser cette faim ou tout du moins être témoins de l’attention de Dieu à leur vie ? Cette interrogation, légitime et même nécessaire peut devenir une obsession et ne plus être féconde si nous n’adoptons pas l’attitude de Jésus qui d’emblée bénit ce petit reste. J’aime beaucoup ce geste de la part de Jésus ; et comme lui j’ai eu envie lors de ce bilan de catéchisme et d’aumônerie de bénir tout ce travail accompli dans la patience, la fidélité par ces mamans qui ont pris des initiatives : comme dans la scène de l’évangile il y aura de beaux restes. Avec Jésus, ce qui semble insignifiant peut devenir fécond.

Cela appelle de notre part un changement radical de notre regard sur la réalité de nos vies, de notre histoire commune, pour adopter celui qui doit être le nôtre quand nous communions au corps du Christ. En prenant dans nos mains ce petit morceau de pain, nous affirmons notre foi en la grandeur de ce qu’il représente, c’est-à-dire Jésus, lui le fragile, le vulnérable qui se donne en nourriture à tous et nous comble bien au-delà de nos simples besoins corporels. C’est petit, tout-petit mais béni par Dieu ; ce pain devient le corps-même de Jésus.

Et en partageant avec lui sa vie, nous devenons son corps, et on dit de l’Église qu’elle est le corps du Christ. Un corps lui aussi fragile, qui a eu dans son histoire des heures glorieuses et aussi des heures très sombres. Aujourd’hui, dans notre pays, l’Église est appelée à vivre un réel dépouillement tout en restant attentive à chacun de nos frères, à chacune de nos sœurs, notamment aux plus pauvres (qui sont la richesse de l’Église) dans la confiance que le règne de Dieu ne s’arrête pas à des considérations comptables mais continue son chemin à travers les plus petites initiatives d’amour, de service, inspirées par l’Esprit. Et il y en a chaque jour : la multiplication des pains, elle n’est pas finie.

André Jobard
19 juin 2022